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point de départ des actes jugés sévèrement, même en Angleterre. Mais tous les intérêts européens ne se trouveront-ils pas bientôt enveloppés dans une solidarité fatale ? Tous les étrangers ne seront-ils pas des Anglais pour les Chinois ? Déjà la haine furieuse des populations s’est manifestée, dit-on, par le massacre des Européens, par l’incendie des magasins de Hong-kong. Jusqu’à quel point alors Français et Américains pourraient-ils rester spectateurs inactifs ? Ce ne serait plus une guerre particulière d’une origine douteuse, ce serait une lutte ouverte entre la civilisation et la barbarie chinoise, et c’est ce qui fait de cette question lointaine une question de politique universelle, dont nul ne peut prévoir les développemens et les suites.

La Chine est loin ; pour le moment, la politique européenne se résume dans d’autres faits moins vagues et plus faciles à saisir. La question de Neuchâtel, débattue depuis deux mois dans une conférence, est toujours pendante ; elle a traversé néanmoins, selon toute apparence, les phases les plus difficiles. On ne peut dire véritablement qu’elle n’ait eu ses péripéties. Il y a trois mois, la guerre semblait imminente entre la Prusse et la Suisse. Bientôt on croyait presque à une solution immédiate par cela seul qu’une conférence était réunie. Peu après, les négociations se prolongeant, on finissait par croire à l’impossibilité d’une transaction, à l’impuissance définitive de la diplomatie, et pendant ce temps la diplomatie cherchait laborieusement une issue à travers les prétentions les plus opposées. Ces prétentions étaient très opposées en effet, et il y a eu même un instant où tous les moyens de rapprochement direct entre la Suisse et la Prusse se sont trouvés réellement épuisés ; il y avait trop de distance entre les conditions primitivement proposées par le cabinet de Berlin et les concessions offertes par le conseil fédéral de Berne. C’est alors justement que la diplomatie s’est mise à l’œuvre et que les autres puissances ont pris l’initiative d’un arrangement qu’elles ont dû présenter à l’acceptation de la Prusse et de la Suisse. L’arrangement devait nécessairement prendre un milieu entre les prétentions contraires, tendre à concilier tous les intérêts, toutes les susceptibilités même. Il paraît avoir été unanimement adopté par les quatre puissances désintéressées dans l’une des dernières séances de la conférence, et il a été immédiatement transmis à Berlin, tandis que l’un des plénipotentiaire suisses, le docteur Kern, se chargeait d’aller à Berne le soumettre lui-même au conseil fédéral. Quelles sont les conditions de cette transaction ? Le roi de Prusse, on le sait, tenait essentiellement à conserver le titre de prince de Neuchâtel et de Valengin ; la Suisse refusait au contraire de reconnaître ce titre, signe d’une souveraineté désormais abolie. Le roi Frédéric-Guillaume pourra porter encore ce titre de prince de Neuchâtel, auquel il tient ; seulement ce droit ne résulte pas du traité même, où il n’en est nullement question : il est inscrit dans un des protocoles de la conférence et placé sous la sanction des quatre puissances. Autre difficulté : la Prusse réclamait deux millions comme indemnité ; la Suisse refusait non-seulement la somme en elle-même, mais encore elle n’admettait pas cette qualification d’indemnité. La conférence dit que la confédération helvétique paiera un million à la Prusse, et elle supprime le mot d’indemnité. Quelques autres sacrifices sont imposés aux deux parties sur les divers points en litige. Le roi de Prusse avait demandé que la révision de la constitution de Neuchâtel fût ajournée à six mois, et que le droit de vote fût exclusivement réservé aux habitans