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mais n’est satisfait que par ce qui est absolu. Ces phénomènes indiquent la lutte de cet esprit contre son propre corps, la lutte d’un idéal abstrait, absolu, contre ses propres réalisations. Le génie français ne se reconnaît qu’imparfaitement dans ses propres créations ; il s’irrite contre elles après les avoir adorées, comme le sculpteur antique adora sa statue ; il les brise ou plutôt s’essaie à les briser, cherche une issue pour s’échapper, favorise tous les mouvemens qu’il croit propres à le délivrer, suit un instant tous les guides qui se présentent, et puis revient, après ces échappées et ces aventures, sous la tutelle des institutions qu’il avait voulu fuir. C’est ainsi que le peuple français a été le plus traditionnel et le plus révolutionnaire des peuples. La lutte a duré longtemps, et en vérité elle aurait duré plus longtemps encore, si les anciennes institutions n’avaient pas subi le sort de toutes les choses mortelles. Elle s’est terminée lorsque les vieilles ornières ont été effondrées et le vieil édifice détruit. L’année 1715 marque la fin de cette lutte. À partir de ce moment, l’esprit français, libre d’entraves, a dû chercher seul ses nouvelles destinées. Retenons bien ce détail important de notre caractère : le génie français, violent parce qu’il est absolu, est en même temps extrêmement timide, parce qu’il est abstrait. Il a été mécontent de ses institutions les plus populaires dès le premier jour, mais il ne s’en est jamais affranchi par lui-même ; c’est le temps qui s’est chargé de ce soin. On a eu tort de dire que la révolution avait hérité de l’ancienne monarchie. La révolution n’a rien trouvé devant elle. L’ancienne société était morte avec Louis XIV, et la naissance de l’esprit nouveau date du jour même du décès de cette société.

Résumons-nous en quelques mots. La civilisation française est une civilisation purement intellectuelle. Le génie français est la représentation parfaite de l’esprit idéaliste et métaphysique. La préoccupation d’un idéal supérieur à toutes les réalités et à toutes les nécessités et fatalités de la vie pratique remplit son histoire. Les vrais représentans de cette civilisation sont eux-mêmes les représentans des intérêts moraux de l’humanité, les prêtres et les philosophes. C’est sous l’influence spiritualiste du clergé que se sont formées nos institutions, et c’est à lui qu’appartenait le gouvernement de l’ancienne France, qu’il peut revendiquer à juste titre comme sa création. La nouvelle France est l’œuvre de ce clergé laïque qui, à toutes les époques, a prétendu représenter et a représenté en effet l’esprit humain et ses ambitions éternelles. Voilà toute notre histoire : sous une double forme, elle révèle le même génie. Il a ses défauts, ce génie, tout glorieux qu’il soit. Il est violent et peureux, ambitieux et sujet au découragement, despotique sous couleur de philanthropie, entêté malgré l’évidence ; mais son plus grand vice, c’est une