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tous les partis européens sans distinction. Tous comptent sur son initiative ou sur son concours désintéressé pour faire triompher leurs illusions ou leurs rêves. L’absolutiste espère toujours que par un miracle notre nation retrouvera la tradition du droit divin ; le démocrate attend toujours de la France la parole magique qui soulèvera les peuples et les délivrera de la tyrannie ; le libéral anglais voit en nous les meilleurs agens de propagande pour le self government. Quels que soient les mécomptes que la France leur réserve, ils ne renonceront à aucune de leurs espérances, ils s’attacheront obstinément à la pensée que d’elle viendra leur salut ; ils compteront sur une de ces surprises, sur un de ces mouvemens imprévus dont la France a donné si souvent le spectacle, et lorsqu’ils sont déçus un instant dans leurs espérances, quels reproches amers, quelles paroles insultantes ils nous adressent ! On l’a vu dans les années qui ont suivi 1848. On dirait qu’entre eux et nous il y a un contrat écrit que nous avons déchiré, une promesse jurée que nous avons trahie. Or que signifie cet espoir que tous les partis mettent en nous, sinon que, dans leur pensée, la France est la seule nation capable de dévouement intellectuel, la seule qui soit capable de préférer des idées à des intérêts, et de sacrifier son repos au triomphe de la justice ? Mais plus significatif encore et plus propre à faire réfléchir est l’attachement du clergé catholique pour la France. Souvent repoussé, toujours surveillé avec méfiance, il ne se rebute jamais et supporte avec indifférence les contraintes qu’on lui impose et les dédains qu’on lui fait subir. C’est là, dis-je, un fait très significatif et qui porte à la méditation. Quelque jugement qu’on prononce sur le catholicisme, il n’en reste pas moins certain que le but qu’il poursuit est un but purement moral, que la cause qu’il cherche à faire triompher est purement idéale, qu’il rêve une société où tous les intérêts terrestres seraient subordonnés aux intérêts spirituels, qui n’existerait que pour la plus grande gloire de l’église, où la vie n’aurait d’autre raison d’être que Dieu même. Et pourtant cet idéal du catholicisme est tellement éloigné de notre manière de vivre et de penser, qu’il faut chercher ailleurs que dans la patience proverbiale du clergé catholique la raison de l’attachement tout particulier qu’il a conservé pour cette nation qui a tant fait pour lui, qui a tant fait contre lui, et des espérances qu’il ne cesse d’entretenir. Égarée, mais non perdue, telle est la pensée constante de l’église romaine sur la France. Un instinct secret l’avertit mystérieusement que cette France, catholique ou non, est vouée par nature au service des causes idéales, et que, même alors qu’elle s’est montrée furieusement athée, révolutionnaire, utopiste, ses excès et ses égaremens trahissaient un invincible amour de l’idéal. C’est cet instinct qui a guidé le plus hardi défen-