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leurs faiblesses. La suprême aventure du duc de Raguse fut son commandement à Paris pendant les journées de juillet 1830. Là aussi, sans manquer à son devoir, il fut malheureux à sa manière. Depuis, il a quitté la scène, parcourant l’Europe en exilé volontaire, ramené un instant par une destinée singulière auprès du duc de Reichstadt, promenant son activité inoccupée en Orient ou dans les châteaux de l’aristocratie autrichienne, s’intéressant encore à tout avec feu et allant mourir à Venise. Vie certes bien remplie et pourtant incomplète ! caractère doué des facultés les plus brillantes, et à qui cependant il a manqué quelque chose, peut-être l’empire sur soi, l’art de conduire une grande existence noblement et héroïquement conquise !

Pour les peuples comme pour les hommes, cet art de bien conduire sa destinée est la première des lois, et malheureusement aussi souvent un des plus insaisissables secrets. Dans la vie d’un pays, c’est ce qu’on nomme une sage et juste politique. L’Espagne est perpétuellement en travail d’une politique de ce genre, dont elle sent la nécessité sans avoir trop réussi jusqu’à présent à s’en approprier les conditions, au moins d’une façon durable. La situation de la Péninsule touche visiblement aujourd’hui à une épreuve des plus graves. Les élections viennent de se faire ; dans peu de jours, les cortès s’ouvriront : le gouvernement et les partis se retrouveront en présence. Que sortira-t-il de là ? On ne le sait pas encore ; seulement on pressent des complications qui ont leur raison d’être dans l’état des partis, dans les ressentimens personnels, et dans la composition même du gouvernement. Les élections qui viennent d’avoir lieu présentent des résultats qui n’ont rien de singulier ni de nouveau ; c’est au contraire un des caractères de cette chambre nouvelle de ressembler beaucoup à une chambre ancienne, à une de celles qui ont précédé la révolution. D’abord le parti progressiste est à peu près complètement éliminé ; il ne sera représenté que par six ou sept membres, dont les deux principaux sont M. Santa-Cruz, ancien ministre des finances avec le duc de la Victoire, et le général Prim, qui vient d’être condamné à six mois d’arrêts à Alicante par un conseil de guerre, pour la publication d’une lettre jugée contraire à ses devoirs militaires. M. Olozaga a échoué partout où il s’est présenté ; le nom du duc de la Victoire, qu’on avait eu la fantaisie de mettre en avant à Barcelone, n’a pas réuni un nombre suffisant de suffrages. La chambre nouvelle appartient donc tout entière au parti modéré ; mais le parti modéré lui-même est représenté par des fractions assez diverses, dont l’antagonisme latent et permanent est une des faiblesses de la situation politique de l’Espagne. L’un des principaux hommes publics de la Péninsule, M. Bravo Murillo, groupe autour de lui environ soixante membres plus ou moins rattachés à sa personne ou à sa fortune politique. M. Bravo Murillo n’est point en état d’opposition contre le gouvernement, il reste même, dit-on, dans une inaction complète ; mais il se tait plutôt qu’il n’approuve, surtout en matière de finances et d’administration. Il y a un autre groupe, de quarante membres à peu près, dont M. Llorente est un des chefs et un des orateurs. Cette fraction, représentée dans la presse par un journal qui paraît depuis peu, reste également dans une sorte d’expectative assez voisine de l’hostilité. Le comte de San-Luis de son côté est entouré d’une trentaine de partisans environ, et, sans avoir une importance et un crédit très reconnus dans le pays, il n’est pas du moins sans habileté