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ne cherchât point à pousser à bout ce fier et indomptable génie. La France n’avait aucun intérêt à prétendre imposer sa domination aux autres peuples ; elle aspirait au repos. Les serviteurs les plus fidèles, les plus dévoués et les plus clairvoyans de Napoléon conseillaient la paix ; Napoléon lui-même la désirait, si l’on veut ; seulement il la voulait comme il avait l’habitude de l’entendre, et non telle qu’elle devait être nécessairement, dans des circonstances si prodigieusement changées. De quoi, s’agissait-il après tout, ainsi que le dit M. Thiers ? La paix redevenait possible moyennant une réorganisation de l’Europe qui ne laissait plus subsister, il est vrai, certaines combinaisons fruits des dernières guerres, mais qui laissait encore à l’empire la Hollande, la Belgique, les provinces du Rhin, le Piémont, la Toscane, Rome, la Lombardie comme vice-royauté, Naples et la Westphalie comme royaumes de famille. C’est là encore, comme le dit l’illustre historien et comme le disait M. de Metternich, une France que Louis XIV eût enviée, et que beaucoup de bons Français ne désirent même pas si grande. Le malheur des politiques excessives est de se détourner de la vraie grandeur et de s’engager dans des entreprises chimériques trop colossales pour avoir des chances de durer. Napoléon en était là ; il expiait en 1813 les excès de son génie en croyant son honneur engagé à soutenir des conquêtes qui ne contribuaient en rien à la puissance véritable de la France, et il aggravait toute chose en mettant les forces et les intérêts réels du pays à la merci de conceptions impossibles. Il disputait sur la possession des départemens anséatiques ; il répugnait à sacrifier ce titre plus fastueux que profitable de protecteur de la confédération du Rhin ; il cherchait à gagner du temps pour pouvoir dicter la paix au lieu de l’accepter, et c’est ainsi qu’il laissait la coalition grandir, l’Autriche se détacher peu à peu pour passer aux alliés et les difficultés s’accumuler, remportant encore des victoires, mais des victoires éphémères et inutiles. Chose curieuse ! en tenant compte de la différence des temps, des circonstances et des hommes, ne voit-on pas quelque analogie entre cette situation de 1813 et la situation créée un moment pendant la dernière guerre ? Au nord est la puissance immodérée ; la France et l’Angleterre, réunies cette fois, défendent l’indépendance de l’Occident menacée en Orient. Peu à peu la coalition européenne se dessine et se forme. Au milieu de ces mouvemens, l’Autriche, toujours habile à ménager ses évolutions, met tout son art à dénouer son alliance avec la Russie pour passer dans notre camp sans combattre encore. Qui peut dire ce qui serait arrivé, quelle blessure profonde et saignante eût été faite à la Russie, si la guerre eût continué, si la coalition européenne se fût complètement formée, si nos armées enfin eussent mis une fois le pied en Finlande ou en Pologne ? La Russie a su éluder par sa modération, en signant la paix, cette terrible logique des choses, contre laquelle Napoléon se crut assez fort par son génie, et qui l’entraîna fatalement, rapidement, de Moscou à Leipzig, de Leipzig dans les plaines de la Champagne, et de Paris à Sainte-Hélène. C’est dans la campagne de France que M. Thiers va maintenant suivre l’empereur.

Un des acteurs de ces tragiques péripéties, distingué par ses talens sans être du premier ordre, le maréchal duc de Raguse est venu, se remettre en scène par la publication de ses Mémoires, et il a contribué à réveiller les polémiques sur les catastrophes finales de l’empire. C’était tout simple,