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des communications régulières. Dans les vues du gouvernement, c’est l’armée qui serait employée à ces travaux, et qui, après avoir conquis l’Afrique, par les armes, lui donnerait cet instrument nouveau de civilisation. Il est bien clair du reste que les lignes du réseau algérien, qui seront l’objet de concessions spéciales, se construiront seulement à mesure que les besoins se développeront. Elles auraient un grand résultat, si elles contribuaient à attirer en Afrique les capitaux et les bras, à ouvrir des routes nouvelles aux immigrations et au travail, à faire de la colonisation une réalité puissante et féconde, tandis qu’elle semble être restée jusqu’ici artificielle et circonscrite malgré tous les efforts.

Mais quoi ! parler de l’Afrique et des chemins de fer ou du projet de loi contre l’usurpation des titres nobiliaires, souhaiter à la colonisation algérienne plus de succès que par le passé, étudier sans parti-pris tous les intérêts, désirer même que les citoyens en France puissent s’occuper plus directement de leurs affaires sans avoir perpétuellement recours à l’état, n’est-ce point montrer, sous toutes les formes, de la malveillance envers le gouvernement ? C’est là, à ce qu’il paraît, la pensée, sinon du gouvernement, qui a de tout autres soins, du moins de beaux esprits qui se croient tenus de le protéger. Si les gouvernemens n’avaient que des ennemis, combien ils seraient favorisés ! Malheureusement ils ont des amis d’un certain genre, et c’est là ce qu’ils ont raison de craindre le plus. Ces étranges amis passeraient volontiers leur temps à supposer ou à créer des hostilités. Qu’on analyse les résultats d’un recensement de la population, et ce sera à leurs yeux l’attestation d’une insigne malveillance. Qu’on mette en lumière les avantages de la liberté commerciale, et ils feront la leçon aux fonctionnaires assez osés pour ne point prendre conseil de leur évangile. Qu’on scrute l’histoire avec indépendance, ils y verront toute une conspiration, et peu à peu, si on les laissait faire, ils créeraient le vide autour de la cause même qu’ils veulent défendre. Singuliers amis, dont le gouvernement a le tort de dédaigner les avis en sachant se montrer plus intelligent et plus sensé !

Où commence l’histoire strictement contemporaine, et où finit-elle ? C’est ce qu’il est difficile de dire, tant la limite entre le présent et le passé est souvent indécise, tant il est vrai que de tous ces régimes qui se succèdent, qui passent ou qui renaissent, le dernier mot n’est jamais dit, tant certains souvenirs restent palpitans et reprennent vite un caractère d’actualité. Les spectacles si puissans et si divers du commencement de ce siècle sont déjà loin de nous, et l’intérêt qui s’y attache ne s’affaiblit pas ; bien au contraire, il semble s’accroître à mesure que des révélations nouvelles multiplient les lumières, et avec les lumières les enseignemens. Ces événemens deviennent un thème de polémiques ; nous assistons tous les jours encore, notamment au sujet de la fin de l’empire, à une mêlée de confidences posthumes, à un choc de témoignages contradictoires entre lesquels s’élève une œuvre éminente, singulièrement instructive, puisque l’auteur a puisé à toutes les sources, et qui peut être impartiale, puisqu’elle n’est pas une déposition intéressée : cette œuvre est l’Histoire du Consulat et de l’Empire, commencée par M. Thiers il y a quinze années et arrivée aujourd’hui au quinzième volume, au récit de la campagne de 1813, de cette longue et terrible retraite