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dans ces contrées, et cette visible attestation de la puissance de l’industrie moderne au milieu d’une nature opulente, pleine de séductions. Sur toute la ligne jusqu’à Toulouse, les coteaux se succèdent d’une part ; de l’autre, le fleuve suit son cours et descend vers l’Océan. Les champs s’étendent au loin déjà reverdis et ranimés par le soleil, et partout on passe à travers des populations surprises de voir des gens s’en aller si vite au milieu d’un pays où l’on se trouve si bien. Des deux côtés, de Bordeaux et de Cette, deux convois partant le même jour devaient arriver à Toulouse à la même heure, et ils arrivaient en effet. Les deux locomotives, savamment conduites, étaient dirigées de façon à mourir en quelque sorte l’une sur l’autre et venaient se rencontrer au pied d’un autel d’où l’un des chefs du clergé devait bénir ces travaux de la paix. Un banquet et des toasts ont fait le reste, et chacun est reparti après avoir vu s’ouvrir une voie ferrée de plus. Cette pensée d’une communication facile, toujours ouverte et rapide entre les deux mers, est une vieille pensée française. C’est celle qui présidait, il y a deux siècles, à l’exécution de la première partie du canal du Midi allant de Cette à Toulouse, et qui a déterminé de nos jours la continuation de ce canal vers Bordeaux, parallèlement à la Garonne. Le chemin de fer du Midi vient aujourd’hui compléter cette pensée en supprimant en quelque façon les distances par une communication ininterrompue qui ne laisse plus qu’un intervalle de quelques heures entre l’Océan et la Méditerranée. Voilà donc cette œuvre accomplie de telle façon qu’on peut désormais, en quelques jours, faire le tour de la France, traverser les contrées les plus diverses, aller du nord au midi, des Alpes à l’Océan, et se retrouver à Paris comme si on ne l’avait pas quitté. Maintenant quelle sera l’influence de ce chemin de fer récemment inauguré sur les intérêts du Midi, sur la condition morale et matérielle des populations méridionales ? L’avenir le dira, l’avenir seul a le secret de ce vaste et infatigable mouvement qui emporte le monde moderne.

Les chemins de fer ! où ne s’étendent-ils pas aujourd’hui ? Ils vont ouvrir la Russie et faire pénétrer dans l’empire du Nord l’esprit de l’Occident. L’œuvre n’est point sans obstacles d’ailleurs, et il ne paraît pas que l’organisation de ces immenses travaux se présente sous un aspect des plus faciles. Des chemins de fer vont se faire en Turquie même, où les Anglais ont conçu la pensée de se frayer une nouvelle route vers l’Inde, par la vallée de l’Euphrate, ne fût-ce que pour chercher à neutraliser cette autre pensée du percement de l’isthme de Suez. Les États-Romains à leur tour cèdent à l’universelle impulsion, et entrent dans le mouvement. L’Algérie enfin, cette petite France de l’Afrique du nord, va aussi avoir ses chemins de fer. Il faut s’entendre, les chemins de fer africains ne sont pas encore commencés, les concessions même ne sont pas faites ; mais le principe de la construction vient d’être adopté par le gouvernement. Les points saillans du réseau algérien sont fixés par un décret. Il doit y avoir une grande ligne parallèle à la mer, et reliant les chefs-lieux des trois provinces d’Oran, d’Alger et de Constantine. D’autres lignes partant des ports principaux et aboutissant à cette grande artère mettraient, en communication Bone et Philippeville avec Constantine, Bougie avec Sétif, Tenez avec Orléansville, Mostaganem et Arzew avec Relizane. Les contrées du sud seraient reliées à l’artère principale par un système général de routes de terre. L’ensemble serait ainsi complet, et partout s’établiraient