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c’est la loi d’harmonie qui domine la grammaire, comme cela arrive pour les langues ougro-finnoises et africaines, tandis que dans les idiomes des rameaux chinois et thibétains, rien ne vient adoucir l’âpreté primordiale du mot. Enfin pareilles inégalités pour les délicatesses, les nuances d’expression, les finesses grammaticales. On trouve souvent dans le langage de populations sauvages telles que les Hottentots et les Polynésiens des richesses de ce genre absolument inconnues aux langues à flexion des mieux douées.

Les idiomes sont donc, comme les individus, à la fois divers et inégaux. De même qu’un Newton, à Lelbnitz, un Laplace, un Cuvier, un Voltaire ou un Watt ont pu être inférieurs pour certaines aptitudes à tel homme de l’intelligence la plus vulgaire, la langue la plus riche a toujours comparée à la plus pauvre, son petit côté d’infériorité.

Ces langues se sont succédé, se sont chassées les unes les autres. D’ordinaire celles des conquérans ont pris la place de celles des vaincus ; mais quand ces vaincus étaient bien supérieurs en intelligence ou en nombre aux vainqueurs, ceux-ci se sont vus contraints d’adopter l’idiome des peuples qu’ils avaient subjugués, de telle façon qu’en fin de compte, c’est toujours la langue des plus intelligens, c’est-à-dire la langue généralement la plus développée, qui a pris le dessus. Cette circonstance nous explique la disparition de la plupart des langue primitives et l’extension toujours croissante des langues indo-européennes. En vain une langue est-elle transportée dans une contrée différente de son berceau, elle n’en garde pas moins son cachet originel : elle peut émigrer comme une race, mais de même que la race, elle conserve son type. Des altérations secondaires peuvent se produire des modifications dues au génie des hommes nouveaux qui l’adoptent la font dévier de la rigueur de ses premiers principe, mais sans jamais toucher à son organisme constitutif. La langue basque, refoulée il y a bien des siècles à l’extrémité occidentale de l’Europe, pénétrée de mots indoeuropéens et forcée de vivre dans une société infiniment supérieure à celle de ses premiers créateurs, n’a pas plus abandonné son type que le nègre transporté en Amérique n’a perdu le sien. Cette persistance des langues est un fait tout semblable à. celui de la persistance des races, il le corrobore et le complète. Si les langues, en effet, n’avaient point une existence propre et spécifique, nous verrions un idiome passer bon gré mal gré, en changeant de population, en se transplantant sous d’autres cieux, à une phase correspondant à l’état intellectuel de ses nouveaux possesseurs. Les lois de développement seraient les mêmes pour toutes les races, si ces races n’étaient pas aussi distinctes intellectuellement qu’elles le sont physiquement.

La vérification de ces grands faits acquis à notre connaissance par la philologie comparée nous explique pourquoi les familles de langues coïncident sensiblement avec les races, pourquoi les destinées des unes sont liées si étroitement à celles des autres. Tandis que certains idiomes font tous les jours de nouvelles conquêtes, d’autres tombent peu à peu au niveau des patois et présentent les signes avant-coureurs de leur extinction prochaine. C’est ainsi que bien des langues, comme bien des races, ont déjà disparu depuis le commencement du monde. La race blanche tend à envahir tout le globe ; elle est loin, très loin sans doute d’y être parvenue, mais les langues qu’elle