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aussi M. Schleicher, auteur d’un intéressant ouvrage sur les langues d’Europe, a-t-il remarqué que les mots de cette langue ont presque tous la mesure du trochée. Cette tendance harmonique, nous la retrouvons également dans les langues tartares que l’ensemble de leurs caractères et de leurs mots rattache aussi étroitement aux langues ougro-japonaises que le type tartare se rattache au type finnois ou ougrien par l’intermédiaire du type tongouse. La séparation n’est pas plus tranchée entre les races de la Sibérie et celles de l’Asie centrale qu’entre les idiomes qu’elles parlent. Le mongol, le mandchou, l’ouïgour, le turc, ne sont pas fondamentalement distincts des langues finnoises, et cela explique comment on avait été frappé de la ressemblance du turc et du hongrois. Il s’agit ici du turc primitif, de l’ouïgour, qui se parlait dans le Turkestan, et dont des dialectes subsistent encore en certaines parties de la Russie et de la Tartarie, car, pour le turc occidental, il s’est presque aussi altéré que le sang turc lui-même. Il a été pénétré de mots arabes et persans et s’est singulièrement adouci. De même les Turcs asiatiques, à force de s’être croisés par des mariages avec des Géorgiennes, avec des femmes grecques, arabes, persanes, etc., ont fini par prendre une physionomie toute différente, laquelle a gagné en noblesse et en régularité ce qu’elle a perdu en singularité. Il en a été ainsi pour les Hongrois ; le sang européen s’est si bien infusé dans celui des hordes hunniques qui conquirent le pays situé entre le Danube et la Theiss, qu’il est impossible aujourd’hui de retrouver rien de mongol, rien de la laideur si célèbre des Huns dans les traits expressifs du Magyar.

On peut donc désigner cette vaste famille de langues sous la dénomination d’ougro-tartare. Toutes, à des degrés divers, sont soumises pour leurs mots à la loi de transformation euphonique des voyelles dans les particules suffixes, c’est-à-dire jointes à la fin des mots. Toutes ces langues procèdent également par la voie de l’agglutination. Toutes, malgré leur grand appareil de formes, sont pauvres cependant. On peut répartir, suivant leur degré de développement, ces langues en quatre groupes : le groupe ougrien, comprenant l’ostiak, le samoïède, le vogoul et divers autres dialectes de la Sibérie, le groupe tartare proprement dit, auquel appartiennent le mongol, qui en occupe l’échelon inférieur, l’ouïgour, le mandchou et le turc, qui en occupent le degré le plus élevé ; le groupe japonais, auquel appartient le coréen ; le groupe finno-ougrien ou tchoude, qui embrasse le suomi ou finlandais, l’esthonien, le lapon et le magyar, toutes langues supérieures à celles des groupes précédens sous le rapport du système grammatical et de l’idéologie. La famille finno-ougrienne se prolonge jusque dans l’Amérique septentrionale, où nous trouvons ses rameaux répandus dans la partie la plus boréale, ce qui s’accorde avec l’étude des races, car les Esquimaux et les peuplades clairsemées de ces contrées glacées se rattachent par leurs traits au type ougrien.

Tandis qu’un des corps de la grande migration indo-européenne s’avançait par détachemens dans nos régions tempérées, un autre corps descendait par les défilés de l’Hindou-Kosh et le bassin de l’Indus dans la vaste plaine du Gange, et s’étendait peu à peu dans toute la presqu’île dont ce fleuve arrose la partie nord. C’est ce que nous apprennent non-seulement les traditions