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L’ensemble des premières recherches met sur la voie des secondes. Les principes que permet de poser l’histoire d’une langue poursuivie dans toutes ses transformations et ses dérivations apprennent à fixer l’âge d’un idiome, la période à laquelle appartient la forme qu’il nous présente, et l’on n’est plus alors exposé à prendre pour des différences spécifiques ce qui ne tient qu’à des inégalités de développement, et à tomber ainsi dans cette erreur, fréquente en ornithologie, qui fait regarder comme d’espèces diverses des individus spécifiquement identiques, mais dont le plumage diffère à raison de l’âge et du sexe. Je commencerai par résumer les résultats principaux de l’étude interne des langues avant de rechercher les données qui en ont réglé la classification.


I

Une première question se présente : comment a procédé l’esprit humain dans la formation des langues ? Nos grammairiens avaient cru qu’il avait suivi dans ce travail de création la marche naturelle indiquée par le raisonnement. L’examen des faits a prouvé qu’il n’en était rien. En étudiant une langue aux diverses époques de son existence grammaticale, on a constaté que nos procédés de logique et d’analyse ne présidaient pas aux premières manifestations d’un idiome. À l’origine des langues, la pensée s’est offerte, à ce qu’il semble, sous une forme confuse et complexe tout à la fois, l’esprit n’avait pas conscience des élémens dont elle se composait. Les sensations se succédaient si rapidement, que la mémoire et le langage, au lieu d’en reproduire séparément les signes, les reflétaient tous ensemble. La pensée était éminemment synthétique. Ce qui le prouve, c’est que les langues les plus anciennes présentent au plus haut degré ce caractère : le mot ne s’y distingue pas de la phrase ; autrement dit, l’on parle par phrases et non par mots. Chaque expression est un organisme complet dont les parties sont étroitement enchevêtrées. C’est ce que les philologues ont appelé agglutination, polysynthétisme. Une pareille manière de s’exprimer est peu favorable sans doute à la clarté ; mais les conceptions des premiers hommes étaient assez simples pour être saisies sans un grand travail de réflexion. D’ailleurs ils se comprenaient sans doute plutôt par intuition que par raisonnement. Le jeu de la physionomie, le geste ; complétaient la parole et les dispensaient d’une lente analyse des signes vocaux.

De quelque façon qu’on s’explique au reste le caractère primitif du langage humain, il n’en est pas moins constant que l’histoire des langues n’est qu’une marche continue de la synthèse vers l’analyse. Partout on voit un premier idiome faire place à une langue vulgaire, qui ne constitue pas, à vrai dire, un idiome différent, mais qui en est une seconde phase, une période plus analytique. Tandis que la langue primitive est chargée de flexions pour exprimer les rapports les plus délicats de la pensée, tandis qu’elle est plus riche d’images, bien que plus pauvre peut-être d’idées, le dialecte moderne est plus clair, plus explicite, séparant ce que les anciens assemblaient, brisant les mécanismes de l’ancienne langue pour donner à chaque idée et à chaque relation son expression isolée.