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Un silence mélancolique dura quelques momens après ces paroles du maréchal. « Il est certain, reprit M. Bailleul, que l’affaire d’Espagne ne ressemble guère à notre mémorable campagne de 1795, à cette invasion de la Hollande sur la glace, à cette fondation de la république batave, que rappelait en si beaux vers notre ami Joseph Chénier ; c’est maintenant le royaume de Hollande. À la bonne heure ! cela tient au grand système fédératif de l’empereur contre l’Anglegleterre ; mais, il faut l’avouer, cette première conquête de la Hollande était bien conçue, comme toutes celles au reste de la convention et du directoire, témoin l’Italie. »

« Ah ! oui, dit avec un incomparable accent le maréchal Lannes ; l’Italie, c’est ma jeunesse, mon nom, la patrie de ma fortune militaire. Que nous étions grands alors, à commencer par le général en chef ! Quel début, de s’élancer des Alpes en Lombardie, pour chasser de toute la péninsule quatre armées autrichiennes, puis d’épargner le pape, qui les avait appelées, et de lui rendre Rome ! Que j’aime encore l’Italie en juin 1800, à cette fin du siècle qui jetait tant de gloire sur le nouveau siècle ouvert pour la France ! Mais aujourd’hui il faut renverser des maisons sur leurs habitans, prendre d’assaut des couvens, tuer des moines qui tirent du haut des fenêtres, et écarter à coups de mitraille les religieuses de la tranchée ! Cela est trop fort pour des braves. On dit que c’est une guerre politique ; je ne sais, mais c’est une guerre anti-humaine et anti-raisonnable, car pour y conquérir une couronne, il faut d’abord y tuer une nation qui se défend, et cela est triste et long. »

D’une telle bouche, ce langage imposait à tous ; mais le philanthrope sénateur Dupont de Nemours semblait seul l’approuver hautement par ses gestes et par des mots expressifs. M. Pigault-Lebrun toutefois, qui dans ses romans de mœurs contemporaines avait çà et là célébré le maréchal, crut devoir faire ses réserves, au nom de ce qui lui semblait la philosophie, a Monseigneur, dit-il, excusez-moi ; je parlerai le langage des principes. Vous faites bon marché de la gloire ; cela vous sied bien, chargé comme vous l’êtes de tant de lauriers ! Mais il faut songer aussi aux progrès de la civilisation, aux intérêts de la raison, et ici la raison est d’accord avec la gloire : c’est la cause de la raison que nous faisons triompher en Espagne contre la superstition la plus aveugle, contre le fanatisme. Voltaire applaudirait à cet effort pour tirer un peuple de l’abrutissement monacal. On sait mes opinions, je ne suis pas un flatteur ; mais une guerre qui abolit les dernières horreurs de l’inquisition et porte chez un peuple superstitieux nos conquêtes de 1789 est, je le crois, digne du siècle. Excusez-moi, monsieur le maréchal, en vous écoutant, je me rappelais le mot de Voltaire lisant le discours de Jean-Jacques