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De quoi s’agissait-il cependant ? De reconquérir des troupeaux enlevés par une attaque subite, et la poésie a donné à ce combat d’escarmouche un caractère grandiose. En y regardant de près, on voit que ces rois si pompeusement célébrés dans le Mahâbhârata faisaient volontiers, comme ceux dont parle Homère, le métier de brigand, et qu’ils régnaient en réalité sur de tout petits peuples. L’Inde, partagée en une foule de royaumes peu importans, obéissait à des souverains d’humeur belliqueuse, toujours prêts à se piller les uns les autres, à des barons cantonnés, ceux-ci sur des pics de montagnes, ceux-là dans des forteresses défendues par des fossés, des escarpemens ou des bois épars. Il avait fallu la réunion des fils de Dhritarâchtra avec les Trigartiens pour accomplir une razzia de bestiaux ; un coup de dé, on l’a vu, avait suffi pour réduire à néant la royauté fondée par les Pândavas. Les princes passaient tour à tour de la richesse à la misère ; dans les temps malheureux, ils couraient le pays en aventuriers, et savaient reconquérir par la force de leur bras la position qu’ils avaient perdue. Il existait déjà dans l’Inde une espèce de féodalité fort préjudiciable aux véritables intérêts des peuples. La valeur personnelle était d’un grand prix, et la profession des armes semblait en grand honneur. Les récits de batailles, les descriptions d’armes, de bannières, — j’allais dire d’armoiries, — abondent dans le Mahâbhârata. L’époque des guerriers est donc arrivée après celle des sages, et l’épopée qui est née avec Râma se développe plus vaste, plus guerrière, plus retentissante. Le poème marche par grands épisodes qui se succèdent comme autant de drames complets formés de plusieurs tableaux, et dans lesquels les poètes dramatiques tailleront un jour leurs pièces de théâtre. Mais on ne peut parvenir d’une traite au terme de ce long récit ; il est indispensable de faire halte au milieu de la course, avant de suivre les héros Pândavas jusqu’au sommet des pics neigeux de l’Himalaya, où ils montent ensemble pour aller au-devant de cette libération finale que nous appelons tristement la mort !

Th. Pavie.