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— Lisez d’abord, puis écrivez ; si vous êtes embarrassé, eh bien ! je dicterai. »

Vers onze heures Georges se retira. En le reconduisant jusqu’à la porte extérieure du jardin, Mme Rose lui serra la main : « Il s’y fera peut-être ! Dit-elle.

— Se peut-il que de si grands efforts soient nécessaires pour contraindre un homme à être heureux ! » disait Georges.

Il ne put pas dormir ; mais sa nuit fut paisible. Quelque chose de la sérénité de Mme Rose était descendu en lui. C’était bien encore la même femme, mais il ne la voyait pas sous le même aspect ; un sentiment plus profond de respect se mêlait à son amour. La pensée seulement qu’elle pourrait disparaître un jour lui faisait mal ; c’était presque le seul côté douloureux de son cœur. Durant les deux ou trois jours qui suivirent cette première rencontre, il vit à peine M. de Réthel. Le tribun ne quittait presque pas un cabinet voisin de la pièce où se tenait Mme Rose ; il y était occupé à écrire ou à discuter avec les quelques personnes qui venaient le visiter. Mme Rose recevait Georges avec la même prévenance ; peut-être même pouvait-il remarquer qu’elle mettait plus d’affabilité dans son accueil, comme si elle eût voulu tempérer par sa bonne grâce le mal dont il souffrait. La crainte et l’espérance se partageaient le cœur de Mme Rose, crainte violente, espérance amère, qui la déchiraient presque également. Un peu de pâleur était le seul indice qu’on découvrît de ces combats. On entendait quelquefois la voix du comte qui s’élevait dans d’orageuses discussions. Un jour que M. de Francalin était auprès de Mme Rose, ils saisirent au vol ces paroles : « Que tout le monde soit prêt comme moi !… Je ne vous demande rien de plus. »

Mme Rose, qui avait reconnu la voix de son mari, regarda Georges : « La crise approche, dit-elle ; mais n’importe, je lutterai jusqu’au bout. »

L’expression qu’il voyait alors sur le visage de Mme Rose la lui rendait plus chère et plus sacrée : c’était l’expression du sacrifice dans toute sa plénitude et sa foi. Georges se sentait meilleur et plus grand auprès d’elle. Bien loin de visiter moins souvent ceux qui s’étaient accoutumés à l’aimer, Mme Rose se montrait fréquemment dans les plus pauvres maisons du village, et attirait chez elle tous ceux qui lui devaient des secours ou des consolations. Elle avait mille ruses charmantes pour dérober à M. de Réthel le plus de temps qu’elle pouvait et l’amener à prendre sa part de ces occupations familières. Elle se faisait suivre par lui chez la Thibaude, où elle savait que le babil et l’audace du petit Jacques, qui était toujours en train de guerroyer contre ses camarades, plaisaient au comte, et elle l’y retenait longtemps. Un soir que Jacques se balançait au plus haut