Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/839

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerre et ramenant au combat le fils du roi des Matsyens, Les uns sourient, les autres s’inquiètent et se demandent : « Quel est cet être caché sous un déguisement, comme le feu sous la cendre ? Il y a en lui de la femme et de l’homme aussi… » Mais la bataille ne commence point encore. Le jeune Bhoûmimdjaya, saisi par celui qu’il croit être un eunuque, lui promet toutes sortes de bijoux, bracelets, anneaux et de riches étoffes, s’il veut le laisser fuir. Ardjouna répond par un sourire, et offre de combattre à la place du fils du roi, pourvu que celui-ci change de rôle et devienne son cocher. Bon gré, mal gré, Bhoûmimdjaya accepte, et bientôt la main vigoureuse du Pândava l’a replacé sur le char. Il s’agit alors pour Ardjouna de retrouver ses armes, qu’il avait cachées dans le tronc d’un acacia et enveloppées de feuilles ; il leur a donné ainsi l’apparence d’un cadavre, afin que personne n’osât les toucher[1]. Déjà la présence du terrible Pândava se trahit par des présages menaçans qui effraient l’armée ennemie. Les Kourous, victorieux naguère, se laissent aller à l’abattement, à une vague terreur, et tandis qu’où croit les entendre dans le lointain se communiquer à voix basse leurs appréhensions de quelque malheur prochain, Ardjouna tire de leur étui ses armes et celles de ses frères. À mesure qu’elles sortent de la cachette qui les recèle, le poète les décrit à grands traits, en quelques vers pleins et sonores. En les revoyant, Ardjouna s’incline et les adore ; son arc gigantesque, qui a un nom, comme l’épée du Cid, est presque un dieu pour lui, car il a appartenu à toutes les divinités du ciel avant de passer dans les mains de Vichnou, de qui il l’a reçu lui-même. « Je vois bien les armes des Pândavas, dit enfin le jeune fils du roi des Matsyens, mais où sont donc ces princes ? Que sont-ils devenus ?… — Moi, je suis Ardjouna, » répond le héros ; puis il raconte rapidement son histoire. Et le royal enfant, qui tremblait tout à l’heure comme une femme, a repris courage ; il est prêt à lancer le char là où le guerrier incomparable le lui ordonnera. Il est prêt à attaquer les dieux eux-mêmes avec un pareil compagnon, il brûle de combattre. Aussitôt, jetant ses bracelets, relevant en nattes ses longs cheveux, Ardjouna ceint la cuirasse. Les armes, qu’il contemple avec amour, lui répondent : « Nous sommes des serviteurs dévoués en tout à ta personne, ô fils de Pândou ! » Et il leur dit, les serrant entre ses bras : « Vous êtes à jamais l’objet de mes pensées en ce monde ! » On devine que l’ennemi fut mis en fuite ; Ulysse décochant ses traits contre les prétendans qui assiégeaient Pénélope ne leur causa pas plus de terreur que n’en répandit Ardjouna parmi les Kourous éperdus.

  1. De peur d’être souillé et déchu de sa caste.