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« Non, nous ne serons pas l’objet de la risée ; non, nous n’agissons pas étourdiment ; non, nous ne devons pas rencontrer dans ce monde l’animadversion des rois ! — … Ce jeune homme florissant, aux robustes épaules, aux cuisses et aux bras solides, ferme comme une montagne de l’Himalaya, frémissant dans sa marche comme le lion, puissant comme le roi des éléphans animé par la passion,… il est à la hauteur de l’entreprise et proportionné à l’effort qu’elle réclame !… — … S’il était incapable, il ne se présenterait pas, et d’ailleurs il n’y a pas une œuvre dans les mondes, quelle qu’elle soit, qui puisse être au-dessus des forces d’un brahmane… Qu’ils jeûnent sans cesse, qu’ils se nourrissent d’air ou de racines, liés par des vœux austères, les deux-fois-nés, quoique faibles, sont puissans par l’éclat de leurs austérités. — Un brahmane ne doit jamais être méprisé, qu’il pratique le bien ou le mal, qu’elle soit agréable ou fâcheuse, grande ou minime, l’œuvre à laquelle il s’applique[1]. »

Ainsi le brahmanisme se glorifie et chante ses propres louanges au moment où la royauté s’éclipse. Il en eût sans doute été tout autrement si la caste militaire avait tenu la plume. Au milieu de ce tumulte, Ardjouna s’est approché de l’arc, dont il fait respectueusement le tour en le saluant, car il comprend que cette arme est enchantée. Par la pensée, il adore le maître des dieux, puis il invoque Krichna, son protecteur et son ami. Ainsi préparé par le recueillement et la prière, il fait ployer l’arc sans effort, et les flèches frappent le but. La belle Draopadî accueille le vainqueur avec un sourire, et celui-ci prend la main de sa fiancée aux applaudissemens réitérés de tous les brahmanes. Exaspérés par les cris de triomphe qui insultent à leur défaite, les rois s’attaquent aux fils de Pândou, au souverain dont ils sont les hôtes, à Draopadî elle-même. Il s’ensuit une terrible mêlée dans laquelle les cinq frères remportent encore la victoire, après avoir rudement battu les Kourous, leurs ennemis, qui ne les ont pas reconnus et demandent en vain quels sont ces héros auxquels les dieux mêmes ne sauraient résister. Peu à peu l’arène se vide ; les princes humiliés se retirent, persuadés que les brahmanes ont eu les honneurs de cette journée. Ardjouna songe alors à retourner vers sa mère, inquiète d’une si longue absence. Le bruit de la lutte est arrivé jusqu’à elle. Le soir vient, ses fils n’ont pas reparu à l’heure accoutumée ; elle croit qu’il leur est arrivé malheur :

« Dominée par l’amour de ses enfans, Kountî se livrait à ses pensées ; mais comme en un jour pluvieux, enveloppé de sombres nuages, à l’heure où tout monde sommeille, a une heure avancée de la nuit se montrerait le soleil au milieu des nuées, ainsi parut au milieu des brahmanes Ardjouna, qui entrait dans sa demeure. »

Ardjouna, qui ramenait aussi ses frères avec lui, dit en revoyant

  1. Chant de l’Adiparva, lect. 188, vers 6, 041 et suiv.