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comme celle d’une Médée, et les guerriers aryens en ont pitié : celui qu’elle aime sera son époux, au moins pour un temps. Elle l’entraînera dans les lointaines solitudes, comme la lionne qui fuit avec son terrible époux dans des grottes inaccessibles même aux regards des hommes, et il se laissera aller aux douceurs de cet amour passager. De ces rencontres fortuites sortira, on le pressent, et l’histoire l’affirme, une race mêlée qui deviendra nombreuse un jour ; celle des Aryens s’altérera de plus en plus. Le teint foncé des métis l’emportera même dans les familles souveraines sur la blancheur distinctive des premiers rois. Enfin dans la société indienne, envahie par des élémens étrangers, se montreront peu à peu les vices du sauvage, la colère, la violence, l’amour du jeu, la férocité, toutes ces grossières passions dont on ne soupçonne pas même le germe dans l’âme si pure de Râma, et qui se développent au grand jour au temps des héros du Mahâbhârata. Ceux-ci n’ont plus qu’une grandeur et une vertu relatives ; la légende a beau les élever au rang de fils de dieux, — pour voiler par une agréable fiction la faiblesse de leurs mères, — ils ne sont que des hommes, supérieurs au reste des mortels par quelques côtés seulement.


IV. – La femme des cinq Pândavas.

Les cinq héros, accompagnés de leur mère, continuent de marcher en avant à travers la forêt. Ils s’arrêtent dans les ermitages, toujours bien accueillis des anachorètes et des brahmanes chefs de famille qu’ils délivrent de la tyrannie des rakchasas. Leur intelligence s’éclaire par la fréquentation des pieux et savans personnages dont ils deviennent les hôtes, et leur courage se trempe dans ces rencontres multipliées avec des êtres menaçans et doués d’une grande force. Sur ces entrefaites, le roi des Pântchâliens, Droupada (celui-là même qui avait si mal répondu aux paroles amicales du brahmane Drona), voyant sa fille en âge de se marier, fit proclamer que les rois et les guerriers eussent à se rendre dans sa capitale : celui qui viendrait à bout de tendre un arc solide, fabriqué tout exprès pour la circonstance, serait choisi pour époux par la jeune princesse. Les brahmanes en grand nombre s’acheminent vers la capitale de Droupada pour assister à la fête, et aussi pour recevoir les abondantes aumônes que le roi ne manquera pas de leur distribuer. L’occasion paraît excellente aux Pândavas de prendre un peu l’air des villes ; ils partent donc avec leur mère, vêtus comme des novices qui poursuivent leurs études. Chemin faisant, ils causent avec les brahmanes : « Ah ! la belle fête ! disaient ceux-ci, il y aura là des princes de tous les pays, et, pour se rendre les dieux propices, ils distribueront