qu’elle ressent pour le héros à la poitrine de lion, n’a point touché ce rude guerrier : « Les rakchasas ont de la rancune, dit-il à la pauvre femme. Ils ont recours à la fascination ; retourne dans la voie qu’a suivie ton frère. » Mais l’aîné des cinq frères, Youdhichthira, surnommé le roi de la justice, lui adresse ces nobles paroles :
« Même dans ta colère, ô héros, ô Bhîmaséna, garde-toi de maltraiter une femme ; observe toujours la justice, qui passe avant le soin de sa propre conservation. — Tu as mis à mort le très puissant ennemi qui venait à nous pour nous tuer ; mais la sœur de ce monstre, que pourrait-elle contre nous dans sa colère ? »
Et la sœur du monstre, saluant d’abord le héros qui vient de prendre sa défense, s’adresse à sa mère Kountî et revient à la passion qui l’agite :
« Ô femme respectable, tu sais combien l’amour tourmente les femmes ici-bas ; ce tourment s’est emparé de moi à cause de Bhîmaséna. — J’ai dû d’abord souffrir ce tourment, dans l’attente d’un temps meilleur, et il est arrivé, ce temps qui doit réaliser mon bonheur ! — car, ayant abandonné amis et parens, et jusqu’à mes devoirs, j’ai choisi ce héros, ton fils, pour mon époux !… — Et si par ce héros ou bien si par toi-même, ô femme glorieuse, je me vois rebutée, je ne vivrai pas, je te le dis en vérité. — Tu dois donc avoir pitié de moi… Et quand tu dirais : Elle est folle, — que je sois ta servante ou ta suivante, — unis-moi à ton fils, ô bienheureuse. Que je l’emmène avec moi là où je veux, ce guerrier beau comme un dieu, et je te le ramènerai ; tu peux te fier à ma parole. — Par le cœur et par la pensée, je vous suivrai tous et toujours ; je vous tirerai de la misère dans les passes difficiles et dans les rudes épreuves. »
Youdhichthira fait avec la fée un arrangement par lequel celle-ci s’engage à rendre dans un court délai son héros préféré, et le rude guerrier Bhîmaséna, souscrivant aux conditions proposées par son frère aîné, se laisse emporter par son amante. Celle-ci l’emmène vers de lointaines contrées, dans des jardins d’Armide, délicieuses retraites qui se cachent entre les montagnes. Au temps fixé, la fée lâcha celui qu’elle retenait dans les liens d’une douce captivité. Bhîmaséna, comme s’il sortait d’un songe, reparut au milieu de ses frères et continua avec eux la vie de chevalier errant. Ainsi se termina par un mariage cette aventure qui s’annonçait d’une façon si tragique. Que l’on mette de côté le merveilleux que la poésie a répandu largement sur cette histoire, il restera une femme sauvage de la race des cannibales qui s’éprend d’un guerrier aryen, robuste, colossal, plus vigoureux qu’élégant dans ses formes, et mieux fait pour plaire à la sœur d’un ogre qu’à la fille d’un roi. Dans le cœur de cette rude enfant de la forêt s’allume une passion subite, irrésistible