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préparée pour eux par les soins de l’aîné des Kourous avait été construite exprès pour devenir leur tombeau ou plutôt leur bûcher. Le feu est mis à des matières inflammables qui y ont été amassées ; les cinq héros et leur mère Kounti échappent comme par miracle à l’incendie au moyen d’un souterrain creusé sous la maison, et qui le conduit au milieu de la forêt. Le bruit se répand que les Pândavas ont péri dans les flammes ; le haineux Douryodhana et ses frères font éclater leur joie, et le vieux roi aveugle s’attriste à cette nouvelle : il soupçonne qu’un grand crime a été commis. Et tandis que l’on s’entretient dans la ville et dans les ermitages de la mort présumée des héros, tandis que l’on pleure leur trépas presque partout, ils s’éloignent sans bruit, à la faveur des ténèbres, fuyant la persécution qui se déchaîne contre eux. Les voilà donc qui errent, sans asile, souffrant de la soif, suivant de l’œil le vol des grues qui leur signalent de loin les étangs et les lacs ; leur mère a peine à marcher à travers les lianes et les broussailles. Au soir, accablés de fatigue, ils s’étendent sur la terre dure et s’endorment, calmes comme des exilés dont la conscience est tranquille. Bhîmaséna, celui qu’on nomme le Ventre-de-Loup, fait la garde auprès d’eux. Il déplore l’infortune de sa mère Kountî et de ses nobles frères, dignes de reposer sous les voûtes dorées d’un palais ; dans sa colère impuissante, il menace Douryodhana, l’auteur de tous leurs maux.

« Puis, ce héros aux grands bras, l’esprit enflammé de fureur, frottant ses deux mains l’une contre l’autre, soupira dans l’excès de son infortune. — Et dans son abattement, devenu pareil à un feu dont la flamme va s’éteindre, le Ventre-de-Loup regarda ses frères étendus sur la terre à ses pieds, — confians, dormant sans crainte, profondément assoupis, et pareils à des gens de basse caste[1]… »

Ne dirait-on pas le dernier reflet d’un soleil brûlant qui s’abaisse derrière les montagnes, se dépouille peu à peu de ses rayons, et disparaît pour faire place à une nuit calme et sereine, mais encore tiède ? La poésie indienne a le secret de ces grandes images prises dans la nature, qui demeurent éternellement vraies.


III. – L’amour dans la forêt.

L’odyssée des fils de Pândou commence avec leur premier exil. Rentrés dans les forêts profondes où s’est écoulée leur enfance, ils abordent franchement la carrière des aventures dans laquelle Râma s’est engagé avant eux. Là, ils auront à traverser les épreuves que doivent subir tous les héros prédestinés, et l’occasion leur sera offerte

  1. Chant de l’Adiparva, lect. 151, vers 5,922.