Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/821

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

battent des mains, et ce triomphe, qui excite la jalousie des Pândavas, le jette aussitôt dans le parti contraire. L’aîné des Kourous, Douryodhana, l’embrasse avec effusion, et Karna, gonflé d’orgueil, demande à se mesurer avec Ardjouna lui-même. Toutefois le fils du Soleil n’est qu’un bâtard aux yeux des Pândavas :

« Se regardant comme insulté par ce défi, Ardjouna dit à Karna, qui se tenait au milieu des cent frères Kourous immobile comme une montagne : « Là où vont ceux qui se glissent sans être appelés, ceux qui parlent sans être interrogés, là tu iras après avoir péri de ma main, ô Karna ! » — Celui-ci répondit : « Cette arène est pour tout le monde, et non pour toi, ô Ardjounal Les plus forts sont rois ; le droit suit la force. — À quoi bon m’attaquer par ces insultes, faibles traits émoussés ? Mais moi, à la face du précepteur Drona, je t’enlèverai la tête avec mes flèches[1] !… »

Ces insolentes paroles ont provoqué la colère des fils de Pândou et l’indignation de Drona ; d’une part les cinq frères descendent dans l’arène prêts à combattre a outrance, de l’autre les Kourous se précipitent avec animosité contre les princes protégés par les brahmanes. Le sang va couler, lorsqu’un sage élève la voix et dit : « Eh bien ! soit ; tu peux te mesurer avec les princes, ô Karna, mais auparavant fais connaître ta mère, ton père, et quels sont les guerriers tes aïeux ! » À ces mots, le visage de l’orgueilleux Karna, « incliné par l’effet de la honte, devint pareil à la fleur du lotus qui se penche tout humide de l’eau des pluies. » — « Ô maître, s’écrie aussitôt Douryodhana (l’aîné des Kourous), il y a pour la race des guerriers une triple origine, les livres de la loi l’ont établi : une bonne famille, de grands exploits et le commandement d’une armée. Si cet Ardjouna refuse de se mesurer corps à corps avec un guerrier qui n’est pas de racé royale, eh bien ! voici que je vais faire sacrer celui-ci roi du pays d’Anga[2]. »

La cérémonie s’accomplit à l’instant même ; Karna, assis sur un siège d’or, reçoit l’onction sainte de la main des prêtres ; on lui confère les insignes de la royauté, le parasol et le chasse-mouches ; on répète en son honneur le cri de : Victoire ! victoire ! et le nouveau souverain, élevé au rang de kchattrya de pure race, dans l’élan de sa reconnaissance, jure à Douryodhana une amitié éternelle. Cependant la naissance surnaturelle du nouveau roi était connue seulement de sa mère et de lui ; on le regardait comme le fils d’un cocher, parce que, d’après la loi brahmanique, l’enfant illégitime d’une femme kchattrya a pour fonction spéciale de soigner les chevaux

  1. Chant de l’Adiparva, lect. 136, vers 5,395.
  2. Ibid., vers 5,413. Le pays d’Anga correspond au Bengale actuel.