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en char : tantôt en avant, tantôt en arrière, tantôt au milieu, allongeant le bras, raccourcissant leurs corps, ils feignent de porter de grands coups avec le long cimeterre. Enfin ils s’arment de la courte épée, et, cachés derrière le bouclier de cuir, ils frappent avec la pointe, ils parent en décrivant un demi-cercle, en tournant la lame dans tous les sens. Ardjouna, le second des fils de Pândou et le premier des archers, a saisi son arc. Dans la gueule d’un sanglier d’airain, auquel une machine imprime un mouvement de rotation, il lance adroitement cinq traits d’un seul coup ; dans une corne de bœuf, suspendue à une corde et qui se balance au souffle de l’air, il fait entrer vingt et une flèches.

Au milieu de ces exercices brillans, et qui excitent les applaudissemens de la foule, on entend la voix lamentable du roi aveugle demandant avec instance ce qui se passe dans l’arène. Vidoura (son plus jeune frère et son conseiller) est à ses côtés, qui lui explique, à lui et à la reine, dont les yeux demeurent voilés par un bandeau, tous les détails du tournoi ; mais les mouvemens des spectateurs lui annoncent de nouvelles péripéties dont il est impatient de connaître la cause. Ainsi, quand Ardjouna a paru, une clameur d’admiration a retenti ; le peuple a salué de ses cris le plus beau, le plus vaillant des cinq Pândavas, de ces princes élevés dans la forêt, qui n’ont ni morgue ni fierté, et que l’affection de la caste brahmanique semble déjà proposer pour rois aux habitans de la capitale. Les spectateurs ont poussé des cris de joie. La mère des Pândavas, Kountî, triomphante et attendrie, verse en silence des larmes de bonheur, et le roi aveugle, que ces clameurs assourdissent, demande à son jeune frère Vidoura : « Quel est donc cet immense retentissement, pareil à celui de la grande mer, qui s’est élevé tout à coup dans l’arène, et qui semble fendre la voûte du ciel[1] ! »

L’infirmité de Dhritarâchtra, chef de la branche aînée, et la joie silencieuse de Kountî, mère des princes de la branche cadette, sont mises en regard par le poète avec autant de finesse que d’habileté. Toute l’épopée se trouve en germe dans cette rencontre au grand jour dies Kourous avec les Pândavas. En y regardant de plus près, on verra dans la cécité de Dhrîtarâchtra un emblème de l’aveuglement de ses fils, peu sympathiques aux brahmanes et durs au pauvre peuple. Tous les honneurs de cette fête militaire reviennent aux Pândavas. Il y a un moment où Douryodhana (le mauvais guerrier, l’aîné des cent Kourous) lutte avec la massue contre Bhîma, le plus robuste des fils de Pândou. Tout aussitôt les spectateurs s’émeuvent, il se forme deux partis dans la foule ; les uns crient : « Bravo !

  1. Chant de l’Adiparva, lectures, 134,135.