Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/804

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un excellent moyen de discipline d’abord, d’apaisement et même de guérison ensuite. Au réfectoire, il serait difficile d’obtenir le silence sans la prière ; pour un grand nombre, ce n’est qu’une action machinale ; pour d’autres, c’est un véritable acte de piété et de recueillement. La présence des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, qui servent à Stéphansfeld de surveillantes et d’infirmières, est aussi d’un heureux effet : elles imposent le respect, elles charment et apaisent par leur douceur et leur dignité. Les aliénés sont conduits aux offices tous les dimanches ; leur tenue y est grave, tranquille, respectueuse. Les sons de l’orgue, lents et majestueux, s’unissant à l’aspect du lieu, aux chants sacrés, les cérémonies du culte divin, la parole évangélique annoncée par un prêtre intelligent[1], fixent l’attention, détournent les pensées délirantes, provoquent un calme salutaire, et, réveillant la pensée obscurcie du Créateur dans l’esprit malade, l’arrachent pour quelque temps à la folle et présomptueuse contemplation de lui-même.

Parmi les aliénés, il y en a un certain nombre qui sont atteints précisément d’une folie religieuse : ce sont les inspirés, les prophètes et prophétesses, les désespérés, les damnés. Faut-il, dans ce cas, employer ou proscrire la religion ? Pinel la considérait comme dangereuse : il cite l’exemple d’une malade à peu près guérie qu’un livre de dévotion, prêté mal à propos, a fait retomber dans son délire ; mais Pinel était de son temps, et à cette époque on n’était guère disposé à reconnaître l’empire de la religion sur les hommes raisonnables, à plus forte raison sur les aliénés. Sans doute il ne faut point flatter la superstition et l’enthousiasme. On ne doit pas oublier cependant qu’au fond de cette sorte de folie il y a un sentiment légitime qui préexiste à la folie même et qui lui survit. Violenter un tel sentiment serait une injustice. N’accordez rien à l’absurde, repoussez les prétentions de l’inspiré, consolez celui qui se croit damné, abandonné de Dieu ; mais ne refusez ni aux uns ni aux autres les secours d’une religion bien entendue. Si vous parlez au nom de la raison humaine à un exalté, vous ne gagnerez, rien sur lui ; parlez-lui au nom de Dieu lui-même, au nom de l’Evangile, s’il est chrétien : le prêtre sera plus puissant que vous ; seulement il faut un prêtre sage, qui sache bien qu’il n’est pas question du salut du malade, mais de sa guérison. Dans la convalescence surtout, la religion est bienfaisante en enseignant à une âme pieuse l’humilité et l’espoir.

Le moindre degré de la diversion morale, ce sont les distractions. Il faut en dire quelques mots pourtant. Parmi les moyens les plus

  1. Un malade de Stéphansfeld qui se croyait damné a été guéri à la suite d’un sermon sur la miséricorde de Dieu.