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la buanderie ou à la lingerie ; d’autres s’occupent à disposer et à cirer les dortoirs et les réfectoires. La grande propreté des habitations est un moyen indirect de traitement moral. Quelques aliénées même entrent : au ; service des, employés de la maison. Les hommes, dans leurs quartiers respectifs, sont occupés, à des travaux analogues ; ceux qui ont quelque instruction sont attachés aux écritures et font un travail de bureau : c’est une preuve de grande confiance, et dont ils sont très flattés.

Quelle que soit l’utilité des travaux manuels et agricoles, ils ne sont praticables, avons-nous dit, que pour un certain nombre de malades. Beaucoup s’y refusent ou en sont incapables ; il faut donc les occuper d’une autre manière. On y réussit par le travail intellectuel. Rien n’étonne plus au premier abord que d’apprendre que dans une maison d’aliénés il y a un instituteur, une institutrice, des salles d’étude, des cours organisés et suivis. On est persuadé en général qu’un aliéné est toujours et partout extravagant : on ne le voit qu’en fureur, riant aux éclats, ou faisant des gestes ridicules. On ne le croit pas capable du degré d’attention, de docilité, d’intelligence nécessaire pour s’attacher à un enseignement, et c’est néanmoins ce qui a lieu, non pas pour tous, mais pour un certain nombre. Entrez dans la salle d’étude, tapissée de dessins dus à la plume pu au crayon des malades : une petite chaire, un tableau noir vous apprennent que vous êtes dans un des plus obscurs, mais des plus touchant asiles de la science. Un homme s’est voué à une tâche cent fois plus difficile que l’enseignement des enfans, celle d’arracher à sa tristesse un mélancolique, de secouer un stupide dans sa torpeur, de retenir un instant un maniaque désordonné, d’arrêter sur la pente des facultés que menace une démence inévitable, de provoquer chez tous un douloureux effort d’attention, de ne point se fatiguer d’un insuccès trop facile à prévoir, de faire enfin fonction de médecin plus que d’instituteur. Cette lutte corps à : corps de l’intelligence saine contre l’intelligence engourdie, abêtie, déréglée, vagabonde, est un) spectacle plein d’intérêt et d’émotion.

Lorsque je visitai à Stéphansfeld la salle d’étude des hommes, j’assistai à des exercices, de diverse nature : dictées, récitations, opérations d’arithmétique, exercices de chant, Les exercices où les malades me parurent le mieux réussir sont les exercices de mémoire et les exercices de chant. Nous savons en effet que la mémoire est de toutes les facultés intellectuelles celle qui se conserve le plus longtemps. Il y a dans la mémoire quelque chose de mécanique ; le mot appelle le mot, la mémoire n’est qu’une sorte d’habitude, et l’habitude à son tour n’est autre chose qu’un instinct acquis. Or dans la folie l’instinct survit à la raison. Quant à la musique, elle tient tellement