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dans la plupart des cas, il sait parfaitement qui il est, il ne se prend pas pour un autre, et il a conscience de son identité. Lors même qu’il se fait illusion et qu’il se croit un autre personnage qu’il n’est en effet, on peut encore retrouver sous cette sorte de conscience factice la conscience primitive : « Qui êtes-vous ? Demandait M. Ferrus à une aliénée de Bicêtre. — Vous savez bien que je suis Marie-Louise. — Mais qu’étiez-vous auparavant ? — Marchande de poisson. »

Les aliénés ont-ils conscience de leur folie ? C’est une question des plus délicates. Il est certain qu’en général le fou affirme qu’il n’est pas fou ; mais le croit-il toujours ? On peut en douter. Il y a, je pense, une vague conscience de la folie comme il y a une conscience du rêve. Souvent au milieu d’un rêve ou étrange ou terrible une pensée vient à la traversé : c’est qu’il se pourrait bien que ce ne fût qu’un rêve. Je ne doute pas que de pareilles pensées ne traversent l’esprit des fous. Ce n’est pas là une hypothèse. J’ai eu entre les mains un travail fort curieux d’un ancien malade, qui, une fois guéri, a recueilli avec beaucoup de sagacité et de finesse les observations qu’il avait faites sur lui-même pendant sa maladie ; or l’une des plus remarquables était précisément cette incertitude où il était, se demandant s’il était fou ou s’il ne l’était pas, attentif à interpréter dans l’un ou l’autre sens toutes les paroles qu’on lui adressait, passant ainsi par toute sorte d’alternatives de confiance et de désespoir. Voici un autre fait qui prouve la même vérité. Un malade est introduit par stratagème à Stéphansfeld. On l’y conduit sous prétexte de visiter la maison, puis on l’y laisse. Une fois qu’il se voit prisonnier, il s’emporte, s’indigne, se plaint d’avoir été dupe d’une trahison ; enfin, il déclare qu’il consent à demeurer à Stéphansfeld, mais qu’il veut y venir volontairement. Il demande qu’on le laisse libre, et promet de revenir huit jours après. On le laissa sortir, et il revint en effet, au jour dit, se constituer lui-même prisonnier. Croit-on qu’il eût aussi facilement consenti à rentrer en captivité et qu’il se fût fait scrupule de manquer à sa parole, s’il n’avait pas eu le sentiment de sa maladie ?

Il y a quelquefois dans la folie des altérations de la conscience bien étranges. Un malade, que je vis à Stéphansfeld il y a déjà quelques années, était atteint d’une consomption très grave, et il approchait de sa fin. Ce triste état de santé, compliqué de la folie, lui avait inspiré un sentiment très extraordinaire : il croyait avoir perdu son moi. « Vous êtes bien heureux, nous disait-il avec une profonde tristesse, vous autres, vous avez un moi qui vous anime, qui soutient votre corps, qui lui donne la vie ! Pour moi, il en est autrement : mon corps n’est soutenu que par les puissances extérieures