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de fous, ce ne sont là que des exceptions. Le plus grand nombre est dans un état moyen qui, à vrai dire, incline plus à la tristesse qu’à la joie, mais qui n’a rien de choquant ni d’extraordinaire.

Comme il y a une folie gaie et une folie triste, il y a aussi une folie agitée et une folie tranquille. Entrez dans une cour, un jardin, une salle occupée par les malades : vous en voyez un grand nombre assis, immobiles, silencieux, indifférens en apparence à toutes choses. D’autres au contraire vont et viennent avec une excessive mobilité : leurs gestes sont rapides et déréglés ; ils chantent, ils crient, ils se parlent à eux-mêmes avec précipitation, quelquefois avec colère. On en voit qui montrent le poing à des ennemis invisibles, à des adversaires absens. On sent qu’il y a quelque chose en eux qui ne peut se contenir, et qui déborde. Les premiers ressemblent à un homme fortement préoccupé d’une pensée, et qu’une contention extrême fixe dans un même lieu et dans une même position pendant plusieurs heures ; les seconds ressemblent à un homme très passionné, qui ne peut se tenir en place, et qui s’entretient tout haut de l’objet de sa passion. Cette agitation, quand elle est portée à l’extrême, devient la fureur ; mais la fureur n’est plus heureusement, comme autrefois, l’état ordinaire des aliénés. Grâce au traitement plus humain qui leur est appliqué, la fureur chronique a disparu, et la fureur aiguë n’est plus qu’un accident relativement assez rare, que l’on sait prévoir, et que souvent même on peut prévenir. Aussi le nombre des cellules destinées aux furieux, ou, comme on les appelle aujourd’hui, aux agités, va-t-il en diminuant. À Stéphansfeld, il y a quatorze cellules pour sept cents malades. C’est à peu près la proportion de 1 à 50. Ajoutez qu’elles sont rarement toutes remplies, ajoutez encore que ceux mêmes qu’on y renferme sont loin d’être dans un état constant d’agitation et de fureur. Je me suis promené dans le jardin attenant aux cellules avec un furieux qui était de la plus belle humeur du monde. J’en vis une autre fois trois ou quatre qui dînaient ensemble dans le corridor des cellules avec une parfaite tranquillité et un excellent appétit. Il faut avouer que la discipline de la maison est pour beaucoup dans de tels résultats ; mais la discipline aurait-elle cet effet sans chaînes et sans bâtons[1], si la fureur était un élément essentiel de la folie ?

Ne nous arrêtons plus maintenant à l’aspect extérieur de la maladie, cherchons dans le fou ce qui reste d’humain et de raisonnable. Par quels côtés les lois morales le dominent-elles encore ? Quels sont les sentimens qui survivent le mieux à la perte de la raison ? Quelles

  1. En Russie, on emploie encore le bâton comme moyen de discipline dans les maisons de fous.