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chez lui, et cherchait une lettre ; la lettre n’arrivait jamais. Alors aussi l’idée de l’inconnu qui deux ou trois fois avait rendu visite à Herblay revenait le poursuivre. Si dans ces moments-là tout à coup la générale eût battu, Georges se fût élancé avec joie pour mourir à l’assaut d’une barricade. Pouvait-il douter en effet qu’un mystère n’existât dans la vie de Mme Rose, et ce mystère ne se rattachait-il pas à cet étranger qu’il n’avait jamais vu ?

Valentin, qui aimait sincèrement Georges, ne comprenait pas que les amusements de toute sorte auxquels il le conviait n’eussent aucune action sur sa tristesse. Un soir, las de lui verser du vin de Champagne, Valentin prit Georges à part.

« Écoute, lui dit-il, il faut que cela finisse. Casse-moi la tête si tu veux, tu ne m’empêcheras pas de te parler de Mme Rose.

— Parle, répondit Georges.

— Un jour que tu étais plus triste qu’un tombeau, l’idée me vint d’aller à Herblay. Je me souvenais parfaitement de Mme Rose pour l’avoir vue au temps où nous portions des feuilles à nos chapeaux. Je ne savais pas bien ce que je voulais lui dire ; mais tu me faisais pitié. »

Georges serra la main de Valentin.

« Attends, reprit celui-ci, tu me remercieras tout à l’heure. J’arrive donc à Herblay, et je monte la côte fort en peine de mon discours. « Si elle a un petit brin de cœur dans la poitrine, pensais-je, elle va me dire de lui amener Georges. » Une voix de femme me fait lever la tête. Je regarde, c’était Mme Rose ; elle marchait au bras d’un grand jeune homme qui avait des moustaches noires et qui fumait.

— Ah ! fit Georges.

— Je n’en voulus pas voir davantage, et redescendis la côte sans plus songer à mon discours. Voilà ce que j’avais à te dire. À présent mange et bois, et n’y pense plus.

— Tu dis un grand jeune homme ?

— Oui, avec des moustaches noires et un cigare.

— Merci. »

Georges était d’une pâleur de mort. Il remplit son verre de vin de Champagne et le vida d’un trait. Il riait beaucoup ; mais Valentin, malgré son étourderie, ne fut pas la dupe de cette gaieté.

« Es-tu bête ! lui dit-il ; tu as la fièvre, va te coucher…. J’ai peut-être eu tort de te conter cette histoire !

— Non, dit Georges, cela m’a fait du bien. »

Pendant deux heures, Georges resta étendu sur son lit les yeux ouverts ; il pleurait comme un enfant. Au petit jour, il n’y tint plus, et courut au chemin de fer de la rue Saint-Lazare. Un convoi partait pour Rouen ; il s’y jeta et s’arrêta à Maisons. Cinq minutes après, il