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prenait au sérieux de son métier de gladiateur qu’une chose, la paie, qui chaque jour était pour lui de 200,000 francs. « Ensuite, dit Dion, il vint se placer sur son siège dans la loge impériale, — dont l’emplacement est aujourd’hui facile à reconnaître, — et il se mit à regarder comme nous la suite du spectacle ; mais ce n’était plus un jeu, car un grand nombre d’hommes étaient égorgés. Si quelque gladiateur hésitait à tuer son adversaire, il ordonnait qu’on les attachât l’un à l’autre : il les fit tous combattre ainsi, et ils combattirent. Quelques-uns même tuèrent ceux auxquels ils n’avaient point affaire, poussés par la multitude qui se pressait dans l’enceinte trop étroite pour elle. Il y eut durant quatorze jours des spectacles de cette sorte, et lorsque l’empereur combattait, nous sénateurs, nous étions là avec les chevaliers,… criant à haute voix tant les autres choses qu’on nous ordonnait de crier que celle-ci très fréquemment : — Tu es le seigneur, tu es le premier, le plus heureux de tous ; tu es vainqueur, tu seras vainqueur à jamais… Un grand nombre ne mettaient pas le pied dans l’amphithéâtre, les uns par honte de ce qui s’y faisait, les autres par peur, d’autant plus que le bruit s’était répandu que l’empereur avait résolu de percer quelques spectateurs de ses flèches, comme Hercule les Stymphalides, et on croyait que cela pourrait bien arriver, car on savait qu’une fois il avait fait réunir dans ce même lieu tous ceux que la maladie privait de l’usage de leurs pieds, et ayant entortillé autour de leurs genoux des formes de serpens, leur ayant mis des éponges dans les mains, en guise de pierres, pour les faire ressembler aux géans, il les avait tous assommés avec sa massue. Ces craintes étaient celles de tout le monde, de nous comme des autres, car à nous, sénateurs, il fit quelque chose de pareil, et qui nous donna lieu de penser que notre fin était très proche. Ayant tué une autruche et lui ayant coupé la tête, puis s’étant approché de l’endroit où nous étions assis, de sa main droite il nous montrait cette tête, et de la gauche agitait son glaive ensanglanté, sans rien dire, mais en grinçant des dents, pour indiquer qu’il en ferait autant de nous. Plusieurs s’étant mis à rire, car l’envie de rire nous avait pris quand nous aurions dû être saisis de douleur, ils auraient été sur-le-champ percés de cette épée, si je ne m’étais mis à mâcher des feuilles de laurier détachées de ma couronne, et n’avais persuadé à ceux qui étaient près de moi de m’imiter, afin que par ce mouvement répété de la bouche notre rire pût être dissimulé. » Quelle scène ! quel empereur ! quel sénat ! quelle honte ! Voilà des souvenirs du Colisée à mettre à côté de ceux de Domitien.

Il faut bien chercher la mémoire de Commode dans l’amphithéâtre des Flaviens, car il n’a pas laissé un seul monument à Rome qui lui appartienne. Il n’en construisit aucun, et ne termina même pas ceux