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Il fallait au contraire vivre et le répudier, chercher un homme vertueux et l’adopter comme avait fait Antonin le Pieux pour Marc-Aurèle, bien que lui-même eût des fils. C’est là une grande faiblesse, que la postérité, malgré sa juste admiration pour l’empereur philosophe, doit lui reprocher[1]. Et comment se serait-il trompé sur le caractère de cet indigne fils ? À douze ans, Commode avait donné des marques de précoce férocité. Ayant trouvé son bain trop chaud, il avait ordonné qu’on mît le baigneur dans le four. Le précepteur du jeune prince s’était tiré d’embarras en y faisant jeter et brûler une peau de bouc, dont l’odeur avait trompé l’enfant cruel et l’avait satisfait.

On peut voir à Rome des portraits de Commode à peu près à cet âge. L’un d’eux surtout annonce bien le futur empereur qui à douze ans avait de semblables fantaisies ; d’autres ne laissent guère apercevoir que les grâces de la jeunesse. Commode, sans posséder la fière et farouche beauté de Caligula, a plutôt ce qu’on appelle une figure agréable. Ce qui manque totalement à cette figure, c’est l’intelligence : elle n’exprime rien ; c’est celle d’un niais plutôt que celle d’un monstre, et Commode était tous les deux. Lampride parle de sa bêtise (stultitia), et Dion Cassius dit qu’il manquait tout à fait de finesse. Lui qui vit de près toutes les atrocités de Commode et les raconte se sert d’une expression qui, mot à mot, veut dire pas méchant, et qui signifie réellement stupide. Ce scélérat était un imbécile. Dans les portraits de Commode, la seconde de ces qualités efface la première. Sa physionomie est terne, ses traits sont réguliers, et on pourrait dire de lui ce mot qui s’applique souvent au porteur d’un visage insignifiant : Il est assez bien.

Ce n’est donc pas au visage de Commode qu’il faut s’attacher dans ses portraits : on n’y trouve rien du barbare qui ouvrit un jour le ventre à un homme très gras pour voir s’échapper ses entrailles, ni du fou qui imagina de se faire apporter sur un plat d’argent deux bossus couverts de moutarde qu’il éleva sur-le-champ aux plus hautes dignités ; on n’y remarque même pas cet air étourdi et semblable à celui d’un homme ivre dont parle Lampride ; mais plusieurs de ses portraits à Rome offrent quelques particularités qui peignent ses habitudes mieux que ses traits n’expriment son caractère. Commode fit substituer sa propre image à la tête du colosse de Néron. César en avait agi de même pour la statue d’Alexandre : usurpation de la gloire du Macédonien indigne peut-être de César. C’était Néron que Commode aimait à remplacer. César enviait Alexandre, Commode

  1. L’empereur Septime-Sévère blâmait Marc-Aurèle de n’avoir pas déshérité Commode de l’empire, et lui devait le laisser à Caracalla !