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chez sa tante quelque temps, s’efforçant de ne plus penser à Mme Rose et y revenant sans cesse ; mais cet éloignement dans lequel il avait cherché un soulagement irrita bientôt sa blessure au lieu de la guérir. Beauvais était pour lui comme le bout du monde. Au moins à Paris avait-il la chance de rencontrer Mme Rose. Elle n’avait plus rien à lui demander, à présent qu’il avait cédé à son désir et bien compris que tout mariage lui était impossible. Il lutta quelques jours ; mais, son angoisse devenant de plus en plus vive, il prit prétexte d’une lettre d’affaires pour retourner à Paris, où son premier soin fut de s’informer de Tambour, qu’il y avait laissé sous la surveillance de Jacob. Tambour n’était plus au logis ; dès le premier jour, il avait pris la fuite. Jacob l’avait fait afficher sans succès. À bout de recherches, l’idée lui était venue de courir à Maisons. Tambour s’y promenait, tout le monde l’y rencontrait du matin au soir, il avait les mœurs errantes d’un outlaw. Une nuit il dormait chez Mme Rose, et le lendemain chez Canada. Il rendait visite aussi à Pétronille, qui gardait la Maison-Blanche. Jacob désespérait de le ramener à Paris. Il voyait bien, disait-il, que Tambour avait des intelligences dans le pays.

« Heureux Tambour ! » murmura Georges, et il donna ordre qu’on le laissât tranquille.

Valentin avait été prévenu du retour de Georges. Il se hâta de l’introduire dans les boudoirs où il avait ses libres entrées. À cette époque, la fièvre révolutionnaire, communiquée par les événements de février et qui avait fait explosion aux journées de juin, n’était point calmée encore : on sentait dans la ville comme le frisson du vent sur la mer. Le lendemain n’était jamais sûr, on vivait au jour le jour ; mais cette agitation n’empêchait pas qu’on ne cherchât les plaisirs avec la même ardeur qu’au temps de la plus grande sécurité. Il y avait même une certaine excitation produite par l’imprévu, qui donnait à ces plaisirs une saveur plus vive et plus séduisante. Georges se laissa faire, mais la lassitude et l’ennui s’asseyaient partout à côté de lui. Son seul bonheur était de se promener la nuit seul sur les boulevards, et de revoir en esprit la maison d’Herblay, la grande prairie où l’ombre des peupliers se jouait, la forêt de Saint-Germain, les canots sous les saules, et, dans cette campagne si souvent parcourue, l’image d’une femme svelte et souriante qui lui tendait la main. Le tumulte des événements et le cri des passions déchaînées faisaient moins de bruit à son oreille que le doux murmure d’une voix mystérieuse qui parlait tout bas dans son cœur. Il n’entendait qu’elle dans Paris, au milieu de ce tumulte et de ce choc quotidien des hommes, il était seul. Quelquefois il s’étonnait du long silence que gardait Mme Rose : était-elle toujours à Herblay, et se pouvait-il qu’elle l’oubliât à ce point ? Il rentrait précipitamment