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complices parmi les matelots et les gladiateurs, et demander après cela pour elle les honneurs divins, c’est trop en vérité. C’était pousser un peu loin l’application de cette maxime des stoïciens, que « le sage ne considère rien comme sa propriété, » ou trop démontrer cet autre axiome de la même école, « qu’on n’est malheureux que par ce qu’on croit. »

Marc-Aurèle n’a d’excuse que la passion. Le sage empereur paraît avoir été très amoureux de Faustine. « Plutôt, écrivait-il à son maître Fronton, être avec elle dans une île déserte que vivre sans elle dans le palais impérial ! » Pour nous, en présence des portraits de Faustine, nous comprenons la passion de Marc-Aurèle, car cette femme a bien la plus charmante figure qu’on puisse voir ; mais comme l’amour ne nous aveugle pas, nous lui trouvons aussi l’air d’une franche coquette, et nous nous expliquons très bien sa mauvaise renommée auprès du public contemporain et dans l’histoire, l’un et l’autre mieux informés que Marc-Aurèle. Rien, dans la vive et piquante physionomie de Faustine, ne dément des accusations certainement fondées. Ses bustes ont toujours l’air de vouloir entrer en conversation avec le premier venu, et il y a sous le péristyle du casin Albani une statue assise de la charmante impératrice, qui, la tête un peu penchée, semble écouter une déclaration… Heureux Marc-Aurèle, si elle ne les eût jamais faites la première !

Dans une des salles du même casin, un bas-relief montre Marc-Aurèle adressant au peuple une de ces leçons de morale, un de ces sermons philosophiques qu’il avait coutume de prononcer devant lui, Faustine se tient derrière l’empereur sous les traits de l’Abondance, un caducée à la main, et écoutant cette fois son mari : c’était bien le moins après en avoir écouté tant d’autres !

Marc-Aurèle fut malheureux dans tous ses rapports de famille : Faustine fut une épouse infidèle, Commode un détestable fils, et Lucius Verus un gendre très peu digne de son beau-père.

La figure de Lucius Verus est une de celles qu’on remarque le plus dans les musées et qu’il est le plus facile de reconnaître. C’est un bel homme à la chevelure et à la barbe très soignées, l’air peu spirituel, fat et assez mauvais. Content de sa personne, il aimait à la montrer, et on a bon nombre de ses statues dans le costume héroïque. La physionomie de Verus est très propre à faire apprécier son caractère. On aperçoit tout d’abord le dandy « qui avait tant de soin de sa chevelure blonde, dit Capitolinus, qu’il la semait de paillettes d’or pour la rendre plus brillante, » qui laissait croître sa barbe presque à la manière des Barbares, non par négligence, mais parce qu’elle était belle et que cette mode étrangère lui plaisait. La statue de Lucius Verus qui est au Vatican, dans la salle de l’Ariane, porte une cuirasse