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Ce qui explique comment la figure de Jupiter pluvieux se rapporte à un événement des campagnes de Marc-Aurèle, c’est que les païens racontaient quelque chose de semblable d’une pluie tombée miraculeusement ; seulement, selon Dion Cassius, ce n’était pas les chrétiens qui avaient obtenu ce bienfait du ciel, mais un magicien d’Égypte nommé Arnuphis, qui avait invoqué Mercure aérien, ainsi que d’autres démons, et, par certains sortilèges, avait fait tomber la pluie. Selon Capitolinus, cette pluie aurait été accordée aux prières de Marc-Aurèle lui-même. Xiphilin, qui a recueilli les fragmens de Dion, n’hésite pas à l’appeler un menteur, à soutenir qu’il a dénaturé la tradition chrétienne, et introduit à cet effet le magicien Arnuphis. Malheureusement Xiphilin insiste sur le nom de fulminante porté par une légion romaine comme preuve du fait qu’il atteste, et nous avons vu que c’était une mauvaise preuve. Une seule chose paraît certaine, c’est qu’une pluie inespérée étant tombée fort à propos, les païens et les chrétiens prétendirent, les uns comme les autres, l’avoir obtenue miraculeusement du ciel. Ce qui est plus certain encore, c’est que si la figure de Jupiter pluvieux fait allusion à quelque chose, c’est au miracle païen plutôt qu’au miracle chrétien.

Une colonne ne fut pas le seul monument triomphal dédié à Marc-Aurèle ; un arc lui fut aussi érigé. Il méritait l’un et l’autre, car, et c’est là une supériorité sur Antonin le Pieux, il fit la guerre en personne, et celui qu’on appela Marc-Antonin le Philosophe aurait pu s’appeler aussi Marc-Antonin le Vaillant. L’arc de Marc-Aurèle était un des quatre qui décoraient la voie Flaminienne et décoreraient aujourd’hui le Corso, qui l’a remplacée, si on ne les avait abattus[1]. Celui de Marc-Aurèle était encore debout il y a deux cents ans. Il avait échappé aux Barbares, au moyen-âge et à la renaissance. Quelle fortune ! Mais un pape s’est trouvé, Alexandre VII (Chigi), qui a eu l’audace de le détruire et, ce qui est plus incroyable, la naïveté de s’en vanter dans une inscription qu’on peut bien lire encore aujourd’hui. On devrait au moins l’effacer pour l’honneur de la papauté et des Chigi. Alexandre VII accomplit cet acte de vandalisme pour débarrasser, dit-il, la voie publique. On ne parlerait pas autrement d’une masure ou d’une immondice, et c’était l’arc de triomphe de Marc-Aurèle ! Marc-Aurèle avait vaincu les Barbares, mais la barbarie devait prendre sa revanche. Dieu veuille que nous n’ayons jamais un autre Alexandre VII, car il pourrait bien trouver que la colonne de Marc-Aurèle gêne la circulation des voitures sur la place

  1. Les trois autres étaient l’arc de Claude, l’arc de Donatien et un arc du temps des Gordiens ou de Dioclétien.