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d’éloquence Fronton ; mais c’est Marc-Aurèle encore écolier pour ainsi dire, faisant sa rhétorique, occupé d’une littérature un peu puérile, cherchant des comparaisons qui pourront servir, et enchanté le jour où il en a trouvé dix. Je préfère à ces exercices de rhéteur les expressions de tendresse pour son maître qui reviennent à chaque instant sous la plume du jeune prince, et où l’on reconnaît cette grâce bienveillante que respirent les portraits de Marc-Aurèle adolescent : « Comment veux-tu que j’étudie quand je te sais malade ? » et cent autres mots aimables et affectueux qu’on retrouve presque à chaque ligne de ces lettres écrites à Fronton par son élève. On est même étonné du langage passionné de celui-ci, d’expressions qui ressemblent à celles de l’amour, et que le disciple impérial et son vieux maître s’adressent réciproquement. Les mœurs, antiques avaient amené ce langage singulier entre hommes, cette espèce de galanterie sans conséquence, ces paroles semblables à celles que les mœurs modernes, qui valent beaucoup mieux, permettent d’adresser aux femmes en toute innocence ; mais Marc-Aurèle ne s’en tint pas à la rhétorique : la philosophie morale le conquit tout entier, et Fronton se plaignait que son enseignement littéraire fût négligé pour les leçons plus viriles du stoïcien Rusticus.

Marc-Aurèle en effet fut avant tout un philosophe, un philosophe de profession. Au Capitole, on a placé son buste dans la salle des empereurs et dans la salle des philosophes ; on a eu raison. Cette vocation s’était manifestée dès son enfance. À douze ans, il portait le manteau des stoïciens, et de très bonne heure il en adopta les austérités. Cet empereur est un des écrivains de l’école stoïque. C’est, comme je l’ai dit, au livre de morale stoïcienne écrit par lui sur le trône, comme Epictète écrivit le sien dans les fers, qu’il faut demander le vrai portrait de Marc-Aurèle. La beauté de son âme, qui éclaire d’un reflet ses images matérielles, brille tout entière dans cette image spirituelle, plus complète et encore plus fidèle que les autres.

La philosophie de Marc-Aurèle, c’est le stoïcisme tempéré par je ne sais quel souffle de christianisme qui commence à passer sur le monde. Du premier, il tient l’effort vers la rectitude absolue, l’insouciance de l’opinion, des éventualités extérieures, de la mort, ce sentiment de fière indépendance vis-à-vis de tout ce qui peut séduire ou abattre, ce mépris des choses fortuites, pour parler comme Rabelais, qui cependant n’était pas stoïcien, cette tranquille possession de soi-même que rien ne saurait ébranler, la perfection de l’homme placée dans sa conformité avec l’ordre universel, la résignation invincible qui en résulte, et qui a inspiré à Marc-Aurèle ces belles paroles : « Il faut vivre conformément à la nature le peu de temps qui