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prise pour une statue de Constantin. C’était faire beaucoup d’honneur à ce dernier, car, bien que, cédant à un préjugé aveugle, Marc-Aurèle ait méconnu et même persécuté les chrétiens, je crois que son âme était plus chrétienne que l’âme de celui dont la politique protégea l’église catholique, sauf à la tracasser beaucoup et à l’opprimer un peu ; mais au moyen âge on ne jugeait pas ainsi, et cette statue de bronze doré ne fût pas plus que presque toutes les autres arrivée jusqu’à nous, si l’on n’eût cru que c’était celle de Constantin, peut-être parce qu’elle était, alors sur la place de Saint-Jean-de-Latran, non loin de la basilique que cet empereur avait fondée. Marc-Aurèle était né sur le mont Cœlius, où est Saint-Jean-de-Latran, et l’on avait pu placer sa statue près de la villa de son grand-père Verus, voisine elle-même du palais des Laterani, où se passa son enfance, et qu’il quitta à regret quand il fut adopté par Antonin.

Il est certain qu’au XIVe siècle le prétendu Constantin se trouvait devant l’église de Saint-Jean-de-Latran. On le voit dans l’histoire de Colà Rienzi, cet antiquaire tribun qui, inspiré par une érudition exaltée, bien que très imparfaite, par cette fièvre de l’antiquité qui a produit la renaissance, et dont sa folle entreprise était un des premiers symptômes, conçut au XIVe siècle la pensée de relever la république romaine. La statue équestre dont nous parlons figura d’une manière bizarre dans sa prise de possession du tribunat. Le cheval de bronze répandait du vin par les naseaux, et Rienzi lui-même se plaça sur le cheval qui porte Marc-Aurèle.

La statue équestre de Marc-Aurèle a aussi sa légende, et celle-là n’est pas du moyen âge, mais elle a été recueillie il y a peu d’années de la bouche d’un jeune Romain. La dorure, en partie détruite, se voit encore en quelques endroits. À en croire le jeune Romain cependant, la dorure, au lieu d’aller s’effaçant toujours davantage, était en voie de progrès. Voyez, disait-il, la statue de bronze commence à se dorer, et quand elle le sera entièrement, le monde finira. — C’est toujours, sous une forme absurde, la vieille idée, romaine, que les destinées et l’existence de Rome sont liées aux destinées et à l’existence du monde. C’est ce qui faisait dire au XIIe siècle, ainsi que les pèlerins saxons l’avaient entendu et le répétaient : « Quand le Colisée tombera, Rome et le monde finiront. »

Rien, mieux que les bustes et les statues où est représentée la simplicité tranquille de Marc-Aurèle, ne montre ce qu’il y a d’emphatique et de faux dans le portrait oratoire que Thomas a appelé un éloge. Ce n’est pas là qu’il faut chercher Marc-Aurèle ; mais il est un livre où il se peint mieux que dans une effigie de marbre ou de bronze : ce livre est le sien. On voit bien déjà quelques traits du caractère et de l’âme de Marc-Aurèle dans ses lettres à son maître