Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/73

Cette page n’a pas encore été corrigée

qui imposent l’attention. Tout son cœur débordait. Peu de femmes restent insensibles à l’expression d’un amour jeune et sincère, même lorsqu’elles n’y sont pas engagées. Georges était assuré de la sympathie de celle qui l’écoutait ; son émotion eut comme un retentissement dans le cœur de Mme de Bois-Fleury.

« Pourquoi êtes-vous venu ? demanda la baronne.

— J’étais si malheureux !… »

Toute bouleversée, Mme de Bois-Fleury prit la tête de Georges entre ses mains et l’embrassa sur le front avec un élan où une nuance de tendresse indéfinissable se mêlait à l’expression de l’amour maternel.

« Eh bien ! dit-elle, qu’il ne soit plus question de Mlle de Valpierre ni d’une autre ! Si vous épousez Mme Rose, vous me la conduirez, et je l’aimerai ; si vous êtes malheureux, vous pleurerez près de moi. »

Mme de Bois-Fleury n’avait jamais oublié l’épisode auquel M. de Francalin avait fait allusion. Cette fougue, ce transport, ce cri qu’il venait de rappeler, l’avaient remuée jusqu’au fond des entrailles. Sincèrement attachée à ses devoirs, elle n’avait jamais rien laissé paraître de cette émotion qu’elle avait combattue et dominée ; mais sa rigidité en avait été amollie, et c’était comme un point lumineux de sa vie vers lequel sa pensée la reportait souvent. De ce jour-là, elle était devenue la meilleure amie de Georges et la plus dévouée ; elle avait en quelque sorte remplacé la mère qu’il n’avait plus, mais de loin et secrètement, pour ne pas s’exposer à une nouvelle secousse. Elle avait même enveloppé sa vive et profonde affection de formes graves et méthodiques et d’une sorte de solennité qui la préservait du danger des épanchements. C’était elle qui, à l’insu de Georges, prenait soin de sa fortune, la réparait quand elle était compromise, et veillait à ce que rien ne menaçât le repos d’une existence qu’elle voulait rendre heureuse. Veuve depuis trois ou quatre ans et plus âgée que Georges de huit ou dix, Mme de Bois-Fleury avait eu la pensée de le rapprocher de Beauvais par un mariage qu’elle-même aurait préparé. À son insu peut-être, et tout en songeant au bonheur de Georges, elle avait fait choix d’une femme que sa beauté ou sa supériorité intellectuelle ne pouvait pas rendre redoutable ; non pas qu’elle désirât revenir en rien sur le passé, mais parce qu’elle voulait rester la première dans le cœur de Georges. Un mot avait renversé tout cet échafaudage et ces longs projets. Certes Mme de Bois-Fleury n’avait pas entendu l’aveu de cet amour si violent sans un déchirement secret qui avait rajeuni son cœur en le faisant saigner ; mais elle avait noyé cette émotion jalouse sous un flot de tendresse épurée, et la femme s’effaça devant la mère quand elle embrassa Georges sur le front.

Georges demeura