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appel exclusivement à des hommes de lettres. C’est qu’on semble faire résider tout l’art d’écrire dans la profession ; on ne considère pas qu’il peut y avoir des hommes accoutumés à observer et à réfléchir, mêlés à toutes les affaires de leur temps, et qui sont tout à coup des écrivains supérieurs quand ils le veulent. Ainsi a été M. Molé, comme on peut le voir dans son éloge du général Bernard, dans ses discours académiques. M. Molé ne faisait point de discours par une sorte de passion de l’art ; il disait ce qu’il voulait dire, et il est peut-être assez curieux que ce soit cet homme d’état qui ait prononcé le jugement le plus sensé et dans les meilleurs termes sur les vieilles querelles littéraires d’il y a trente ans. « Je voudrais, (disait-il, voir adopter le programme du classique moins les entraves, du romantique moins le factice, l’affectation et l’enflure. » Telle était la nature de M. Molé en littérature comme en politique : il comprenait tout, il ne se refusait qu’aux excès. Peut-être, en se bornant aux côtés superficiels ou officiels de cette existence, M. de Falloux a-t-il contribué lui-même à diminuer l’intérêt de son discours, dans lequel il aurait pu si aisément se permettre bien des peintures et évoquer bien des souvenirs.

La politique dans ses évolutions a plus d’un épisode qui laisse dans l’histoire des traces saisissantes et dramatiques ; elle compte aussi bien des questions positives, pour ainsi dire, très actuelles et toujours sérieuses, par ce fait seul que, même sous une apparence moins éclatante, elles mettent en jeu les intérêts les plus immédiats des peuples. Le Danemark est aujourd’hui un des pays les plus activement mêlés à toute sorte d’affaires. Il a eu tout à la fois à régler des démêlés commerciaux ou maritimes d’une certaine importance pour tous les états et à se défendre soit contre des factions intérieures, soit contre des interventions diplomatiques qui tendent à affecter son indépendance. Là question soulevée il y a deux ans par les États-Unis, relative à l’abolition des droits perçus par le gouvernement danois sur la navigation au passage du Sund, était une de ces questions qui, une fois posées, doivent être résolues dans le sens des progrès généraux de la civilisation. Elle vient de se dénouer pacifiquement par un traité qui a été signé à Copenhague, et où figurent, outre le Danemark, la France, l’Autriche, la Prusse, l’Angleterre, la Russie, la Suède, la Belgique, la Hollande, le Hanovre, le Mecklembourg, l’Oldenbourg, Hambourg, Lubeck, Brème. Ainsi qu’on le voit, il manquerait encore à ce traité l’accession de divers pays, des États-Unis, de l’Espagne, de la Sardaigne, du Portugal, de Naples ; mais cette accession ne peut offrir de doutes bien sérieux. Le Danemark ne refusait point absolument dès l’origine de consentir à l’abolition d’un droit si contraire en principe à la liberté des mers et aux franchises du commerce universel ; seulement, comme ce droit était admis et consacré depuis longtemps, il demandait que l’abolition se fît par voie de transaction et de rachat de la part des puissances, d’autant plus qu’indépendamment de l’extinction de l’une de ses principales sources de revenu, le gouvernement danois devait rester chargé de frais assez considérables pour le service de la navigation. C’est sur ces bases que les négociations se sont engagées et que le traité récent a été conclu. La perception du péage du Sund est abolie à partir du 1er avril, c’est-à-dire à dater de ce moment même, et il ne pourra être remplacé par aucun autre impôt ou taxe sur la navigation. Le droit de transit des marchandises