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telle lutte, reste l’heureux représentant des électeurs de Tiverton. Le chef du gouvernement a eu plus de succès avec M. Cobden, son adversaire direct dans les affaires de Chine, le promoteur du vote qui a provoqué la dissolution du parlement. M. Cobden s’était rendu à Manchester pour défendre la candidature très menacée de M. Bright, et il avait, il en faut convenir, traité sans ménagement dans ses harangues le libéralisme et la capacité politique de lord Palmerston. Malheureusement M. Cobden n’a pu sauver la candidature de ses amis, MM. Bright et Milner Gibson, et il a succombé lui-même dans son propre collège. Il n’a obtenu d’autre résultat que d’avoir fait un discours suffisamment éloquent et passablement irrévérencieux. D’autres membres de l’opposition des divers partis, M. Gladstone, M. Roebuck, ont eu un meilleur sort. Ce qu’il y a de plus singulier dans cette lutte, c’est qu’on ne voit point au juste de quoi il est question, si ce n’est qu’après tout il s’agit de savoir si lord Palmerston restera premier ministre, ou s’il sera contraint d’abdiquer le pouvoir. L’opposition proclame la nécessité des économies dans les dépenses publiques ; le gouvernement, de son côté, n’est pas d’un autre avis. Veut-on des réformes intérieures, lord Palmerston, sans s’expliquer catégoriquement dans son manifeste, ne demande pas mieux que de procéder à toutes les améliorations possibles. Il n’y a donc que les affaires de Chine ; mais ici même, malgré les affirmations du chef du cabinet, l’opposition, en blâmant les actes des autorités britanniques dans la rivière de Canton, n’a pas évidemment la pensée de laisser en péril l’honneur de l’Angleterre, et dans tous les cas ce ne serait qu’un point spécial de politique. Rien ne prouve mieux l’incohérence actuelle des partis, qui cherchent un terrain de combat sans le trouver, et qui en attendant se mêlent, se confondent en toute sorte de combinaisons artificielles et éphémères. Si on l’observe bien, ce n’est pas l’opposition seule qui se présente en certains momens sous l’apparence d’une agrégation factice d’opinions diverses ; le gouvernement lui-même est-il autre chose qu’une coalition ? Les tories, qui ont voté contre le cabinet dans les affaires de Chine, avaient aidé lord Palmerston, peu de jours auparavant, à faire échouer une motion de réforme électorale. Maintenant quelle va être l’influence des élections actuelles sur cet état des partis ? quel sera le résultat du mouvement qui agite aujourd’hui l’Angleterre ? S’il n’apparaît point encore avec précision, il est du moins assez clair que la majorité se dessine en faveur du gouvernement ; seulement quelle sera la force de cette majorité et quel sera son caractère ? Appartiendrait-elle véritablement à lord Palmerston, ou ne sera-t-elle qu’un composé de libéraux de diverses nuances qui se grouperont autour du cabinet en certains cas, sauf à l’abandonner en certaines questions intérieures ? S’il en était ainsi, la majorité de lord Palmerston, même accrue par les élections, serait encore plus apparente que réelle ; ce serait toujours la situation qui existait avant la dissolution du parlement, situation aussi indécise que précaire, où une question imprévue pourrait à chaque instant venir déconcerter toutes les conjectures et mettre en défaut toute la dextérité de lord Palmerston lui-même. Aussi peut-on dire que les élections anglaises sont un expédient de circonstance qui peut prolonger l’existence du cabinet sans lui donner plus de force ; elles ne résolvent pas la question essentielle qui domine toutes les autres, celle de la réorganisation des partis sur un terrain défini de politique extérieure et intérieure.