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de troisième ordre, revient surtout à M. Carvalho, à qui les hommes de goût doivent une grande reconnaissance pour cet acte de bonne administration qui se trouve être un événement pour l’art musical en France.

Weber est le plus grand compositeur dramatique qu’ait produit l’école allemande. Ni Gluck, avec son génie pathétique, qui est plutôt un écho de la tragédie grecque qu’un peintre des passions modernes, ni Mozart, dont l’œuvre admirable est une fusion des propriétés du nord et du midi, ne peuvent être rangés parmi les musiciens qui appartiennent exclusivement à l’Allemagne. Né à la fin du XVIIIe siècle, au milieu de ce mouvement philosophique et littéraire qu’ont suscité Lessing, Klopstock, Goethe et Schiller, et que continuent plus tard Fichte, les Schlegel et l’association patriotique du Tugendbund contre la tyrannie de Napoléon, Weber s’inspire de cette renaissance de l’esprit germanique en sa double qualité de patriote et d’artiste. Il commence sa réputation par des chants guerriers à plusieurs voix qui répandent son nom dans toute l’Allemagne, et dès son plus jeune âge il ne rêve qu’à l’honneur de créer un opéra allemand. Il nous faut ici expliquer ce que Weber, Beethoven, Spohr, Schubert, Hoffmann, et l’école romantique d’au-delà du Rhin, entendaient par un opéra allemand.

Dès le commencement du XVIIIe siècle, Keyser et d’autres musiciens moins célèbres qui se groupèrent autour de cet homme de génie, avaient essayé de fonder dans la ville de Hambourg, où Lessing devait venir plus tard inaugurer aussi le drame allemand, un théâtre exclusivement consacré à l’opéra national. C’était une tentative de résistance contre la domination de l’opéra et des virtuoses italiens qui régnaient dans toutes les villes princières, à Vienne, Munich, Dresde, Berlin, Mannheim et Stuttgart. Cette insurrection du génie national dans une ville libre contre l’art et les sensualités vocales de l’Italie, que les princes allemands payaient au poids de l’or, n’eut qu’une existence éphémère, et ne produisit d’autres résultats que de propager le style et les formes des maîtres italiens sous, des paroles accessibles à l’intelligence de tous. Graun, Schweitzer, Benda, Dettersdorff, Reichardt, qui composèrent aussi un grand nombre d’opéras allemands, ne firent pas autre chose que d’imiter, avec plus ou moins de talent, le style des maîtres étrangers qui amusaient tous les princes de l’Europe. Mozart écrivit deux chefs-d’œuvre sur des poèmes allemands, l’Enlèvement au Sérail, en 1784, et La Flûte enchantée, en 1790 ; mais, avec le goût suprême qui caractérise toutes les productions de ce génie exquis, il ne franchit pas certaines limites, et reste un compositeur classique dans la vraie acception de ce mot, qui n’a été méconnue que par des truands de carrefour. C’est avec le Fidelio de Beethoven, qui fut représenté pour la première fois à Vienne le 20 novembre 1805, que le génie de la nouvelle école allemande s’introduisit au théâtre. Par des raisons qui tiennent autant aux circonstances politiques dans lesquelles se trouvait alors l’Allemagne qu’à l’œuvre même de Beethoven, Fidelio ne produisit pas tout l’effet désiré. Recomposé presque en entier, l’opéra de Fidelio fut repris en 1814 avec plus de retentissement, mais sans atteindre toutefois à la popularité. L’Ondine du grand conteur Hoffmann, et surtout le Faust de Spohr, représenté dans la ville de Prague en 1815, et dont Weber lui-même dirigea la mise en scène, furent deux nouveaux essais pour édifier cette