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Oberon, ému par les conseils de son confident Puck, se décide à soumettre les deux amans à une dernière épreuve avant de les condamner irrévocablement. Il les fait transporter à Tunis, dans le sérail du bey, où se passe le troisième acte. Fatime, devenue esclave du bey de Tunis, chante une ariette qui est divisée en deux parties. La première partie, en sol mineur, exprimant le regret du beau pays de l’Arabie, est d’un accent mélancolique, tandis que la seconde, en sol majeur, est une véritable romance française du style le plus fin et le plus élégant. Ce morceau, un vrai bijou, est fort bien chanté par Mlle Girard, qui est obligée de le répéter à chaque représentation. Vient ensuite un duo non moins facile et non moins bien réussi pour mezzo-soprano et ténor entre Fatime et Scherasmin, l’écuyer gascon, qui célèbre les bords de la Garonne, où il a vu le jour. Dans cette phrase, Weber a réussi à être aussi spirituel et plus musical que M. Auber. La réponse de Fatime, parlant à son tour des bords du Bendemir, est d’une couleur plus mélancolique. L’allegro à six-huit, avec le trait obstiné de tous les instrumens à cordes à l’unisson, qui se présente périodiquement à la quatrième mesure de la phrase principale, achève heureusement ce joli morceau dans le style tempéré, qui n’est pas le plus facile, comme pourraient le croire les compositeurs modernes, qui ont l’imagination remplie d’éclats de mélodrame. Un trio délicieux entre Fatime, Scherasmin et Huon, qui rappelle un peu celui du Freyschütz, la cavatine de Rezia, qu’on a transportée au premier acte dans l’arrangement du Théâtre-Lyrique ; le rondo que chante Huon, d’une mélodie difficile et plus étrange qu’originale, et surtout le chœur avec la danse des femmes chargées de séduire la constance de Huon, d’un rhythme si agaçant, auquel saint Antoine aurait eu de la peine à résister ; un chœur chanté par les esclaves du bey, sur une danse frénétique à laquelle les condamne l’ordre suprême d’Oberon, terminent la pièce telle qu’on la joue au Théâtre-Lyrique. Cette danse forcée de tout le sérail sur un rhythme bien accusé et fort original forme une scène piquante. La marche qui, dans la partition originale de Weber, sépare la scène du sérail que nous venons de citer d’un chœur chevaleresque, — Gloire, gloire au vainqueur de la beauté, — sert d’ouverture au troisième acte.

L’exécution de la musique difficile d’Oberon est aussi bonne que possible dans un théâtre secondaire, qui n’a pas de subvention, et qui ne possède qu’un seul talent de premier ordre, Mme Carvalho. Le rôle de Rezia, d’une difficulté énorme, est chanté par Mme Rossi-Caccia, qui a eu ses beaux jours, mais dont l’habileté incontestable ne peut faire oublier ce qui lui manque et ce qui est absolument nécessaire dans un personnage de jeune fille qui inspire un si grand dévouement. Dans le rôle non moins important du chevalier Huon, M. Michot déploie une voix de ténor d’une belle qualité, d’un timbre chaud, étendue, forte et assez flexible. M. Michot n’est encore qu’un élève, mais il possède tout ce qu’il faut pour devenir un artiste distingué. Dans aucun théâtre lyrique de Paris, il n’y a une voix de ténor plus franche et plus agréable que celle que possède M. Michot. Mlle Girard est charmante dans le rôle de Fatime. Les chœurs et l’orchestre surtout, sous la direction de M. Deloffre, méritent les encouragemens de la critique ; mais le mérite d’avoir mené a bien cette difficile entreprise de la mise en scène d’Oberon, avec des chanteurs