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Rossini ; Maria di Rohan et Lucrezia Borgia, de Donizetti ; la Norma et i Puritani, de Bellini, sont les ouvrages qui ont défrayé la curiosité d’un public, composé d’Espagnols, de Portugais et de Brésiliens, d’Italiens, d’Anglais, de Russes et d’Américains. Les Français et les Allemands n’y sont représentés que par un très petit nombre d’infidèles. Il y aurait quelques bonnes réflexions à tirer de ces élémens de statistique fournis par le Théâtre-Italien. Il ne serait pas impossible de prouver par exemple que les mélodrames de M. Verdi n’ont pas encore pénétré chez les deux peuples qui représentent aujourd’hui la civilisation musicale de l’Europe. La direction de M. Calzado a commis la faute énorme de reprendre le Don Juan de Mozart avec des virtuoses et un chef d’orchestre, M. Bottesini, qui ne comprennent pas le premier mot de cette œuvre divine. On n’a jamais rien vu d’aussi grotesque que M. Graziani dans le rôle de don Juan ! Il a balbutié cette poésie de l’âme comme s’il s’agissait du faux-bourdon d’Ernani ou d’il Trovatore. Jusqu’à Mme Alboni, qui a chanté le rôle de Zerlina, cette création de la fantaisie la plus idéale qui ait jamais existé, comme une marchande d’oranges de la foire de Sinigaglia. Excepté Mme Frezzolini, une grande et admirable artiste qui a l’élégance suprême qui convient au caractère de dona Anna, et qui a été sublime dans le trio des masques, tout le reste a été au-dessous de la critique la plus bienveillante. Pardonnez-leur, mon Dieu, car ils ne savent ce qu’ils font ! Encore une génération de ce beau régime, et les Italiens devront retourner au plain-chant de saint Grégoire, dont les béats poursuivent la restauration impossible.

Pendant que les théâtres subventionnés par l’état chantent plus ou moins mal des opéras qui ne se conserveront que sur le catalogue des almanachs, le Théâtre-Lyrique, dirigé par un homme intelligent et plein de zèle, vient de s’illustrer par une victoire éclatante. Oberon, de Weber, a été représenté le 27 février devant un public nombreux qui s’est montré digne du chef-d’œuvre dont il entendait pour la première fois les magiques accords. On a redemandé l’ouverture et trois ou quatre morceaux des plus saillans. C’est un événement pour l’art musical que le triomphe l’Oberon sur un théâtre de Paris. On pouvait craindre une chute ou, ce qui est pis, un de ces succès d’estime et d’hypocrisie, avec lesquels on enterre décemment les chefs-d’œuvre et les grands hommes ; mais, grâce au ciel, nous n’avons pas à déplorer un pareil outrage fait au génie de Weber. Le temps a marché, et le goût musical de la France s’est évidemment agrandi. Les nombreuses sociétés qui se sont instituées à Paris pour l’exécution de la musique instrumentale ont fait l’éducation d’une grande partie du public, et l’ont préparé à comprendre des œuvres qui dépassent le cadre des Noces de Jeannette ou du Postillon de Lonjumeau. Sans doute il y a encore des retardataires, et il y en aura toujours, car il ne faut pas oublier que le Français né malin a créé le vaudeville et tout ce qui s’ensuit ; mais si les Français arrivent tard, comme le remarque Voltaire, ils arrivent pourtant, et alors ils bouleversent et gouvernent le monde.

Oberon est le dernier ouvrage de Weber. Il l’a composé pour le théâtre de Covent-Garden à Londres, où il a été représenté le 12 avril 1826. Né à Eutin, dans le Holstein, le 18 décembre 1786, Charles-Marie de Weber est mort à