a reçues en naissant, Il ne dépend pas de lui de savoir ou d’ignorer. Dieu ne s’est montré envers lui ni généreux ni avare ; l’ignorance qui se plaint et rougit d’elle-même n’a pas le droit de se plaindre.
Les débuts littéraires de M. Taine remontent à l’année 1853, à sa thèse pour le doctorat ès-lettres, car son Essai sur les Fables de La Fontaine est une thèse soutenue en Sorbonne. Il y a dans ce premier ouvrage beaucoup d’érudition et d’esprit ; qu’on me permette d’y trouver trop d’érudition et d’esprit. Il est bon d’avoir lu la Poétique d’Aristote et le traité de Kant sur le Beau, l’étude de ces deux grands penseurs ne sera jamais sans profit ; mais je crois qu’on pouvait, même en Sorbonne, définir la fable philosophique et la fable poétique sans prodiguer les citations comme l’a fait M. Taine. Cet appel au passé, quand on ne sait pas en user avec modestie, finit par effacer le caractère personnel de la pensée de l’auteur. Le raisonnement qui se déroule avec un si pompeux appareil n’est plus une œuvre logique, mais une œuvre de pure mémoire. Dans la première partie de sa thèse, où il expose la théorie de la fable, l’auteur procède trop souvent comme l’abbé Barthélémy racontant le Voyage du Jeune Anacharsis. Il ne se contente pas de connaître l’antique Grèce, il veut prouver qu’il la connaît, et se complaît dans cette démonstration. Je crois que ses argumens auraient gardé toute leur valeur, lors même qu’il se fût abstenu d’appeler à son aide l’autorité d’Aristote. Cette remarque se présente d’autant plus naturellement qu’il s’agit de La Fontaine. Invoquer le précepteur d’Alexandre à propos des unités dramatiques, je le comprends sans peine : Corneille, dans l’examen de ses tragédies, tenait à prouver qu’il connaissait le sentiment de la Grèce sur ces matières ; mais le dialogue de la cigale et de la fourmi, du renard et du corbeau, ne gagne pas grand’chose à se voir légitimé au nom d’Aristote. En pareille occasion, la vérité plus simplement exprimée n’agirait pas moins sûrement sur l’esprit du lecteur. M. Taine parait s’en être aperçu, puisqu’il explique l’origine et la destination de son travail pour justifier l’appareil scientifique dont je signale les inconvéniens.
Les trois chapitres qui suivent traitent des caractères, de l’action et de l’expression. Dans ces trois chapitres, il y a beaucoup à louer. L’auteur prodigue les rapprochemens ingénieux, et l’on voit qu’il ne dit pas tout ce qu’il pourrait dire. Il excelle à retrouver les personnages de La Fontaine dans La Bruyère, dans Saint-Simon, dans Mme de Sévigné. Quand il ne les retrouve pas, il s’arrange pour faire croire qu’il les retrouve. Le lecteur, ébloui de toutes ces citations choisies avec un art infini, qui passent devant lui comme les fusées d’un feu d’artifice, est tenté de se dire qu’avant de lire M. Taine, il ne comprenait pas La fontaine, Le lecteur s’abuse et se calomnie : M. Taine est un guide plus amusant que fidèle. Il prête à La Fontaine