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longtemps de pareils symptômes. N’y a-t-il pas ici un singulier contraste ? L’Allemagne souffre du rôle médiocre qu’elle a joué dans la politique européenne, et sa littérature se relève pour consoler les âmes ; la France est glorieuse par l’action, et sa littérature semble frappée de langueur. L’histoire dira les causes de ce contraste, elle dira surtout, nous l’espérons, qu’il n’y a eu là qu’une crise passagère, un affaissement momentané de la conscience publique. Le sentiment de l’idéal reparaîtra ; la foi aux principes, conservée du moins dans les œuvres de critique et d’histoire, ranimera aussi les travaux de l’imagination. Nous ne laisserons pas nos voisins poursuivre seuls la réaction morale dont nous venons de montrer les symptômes. Nous comprendrons l’inspiration des romanciers de Londres, la virile esthétique de Charles Dickens, de William Thackeray, de mistress Gaskell, de Charles Kingsley ; nous comprendrons ce que la moralité unie à la poésie enseigne aux conteurs de l’Allemagne. Le jour où les peintures si recherchées aujourd’hui de nos romanciers et de nos écrivains de théâtre ne seront plus que des vieilleries nauséabondes, et ce jour-là n’est pas loin, on saura enfin que la nouveauté poétique n’est pas dans la prétendue hardiesse des sujets, mais dans l’âme de l’écrivain ; le thème le plus rebattu peut devenir une mine d’or, si l’écrivain y apporte une inspiration franche et ardente. Dickens et Thackeray l’ont prouvé en Angleterre, l’Allemagne vient de le prouver à son tour. Voilà pourquoi j’ai été heureux de signaler à l’attention des esprits élevés l’école poétique et morale qui se développe au-delà du Rhin, cette école qui s’est déjà constituée avec M. Berthold Auerbach, dont M. Julien Schmidt est le critique, et dans laquelle viennent de se placer au premier rang ces deux hommes, si divers de talent et d’allure, mais également dévoués à la régénération de leur pays, M. Gustave Freytag et M. Otto Ludwig.


SAINT-RENE TAILLANDIER.