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bas ; aujourd’hui en serait-il venu à nier l’immortalité de l’âme, et, s’attachant à la vie présente, voudrait-il nous interdire l’espérance et le sentiment de la vie future ? On voit que M. Ludwig a encore des progrès à faire avant de trouver son équilibre.

Cette logomachie, empruntée au panthéisme, est une fâcheuse conclusion pour un livre dont une pensée morale anime les meilleures parties. Heureusement l’impression générale qui reste dans l’esprit efface cette dernière page. La vraie conclusion, c’est qu’il n’est pas besoin de briller sur un théâtre et d’attirer l’attention des hommes pour que la vie acquière tout son prix, et que chacun de nous dans le silence et dans l’ombre peut atteindre à la vraie grandeur. Le héros de M. Ludwig donne la main à celui de M. Freytag ; Antoine Wohlfart et Apollonius Nettenmair, l’artisan de la petite ville et le commis-négociant de la grande cité nous prêchent la même doctrine. Cette doctrine n’est pas nouvelle ; ce qui est neuf, c’est la sincérité ardente avec laquelle les deux écrivains ont rempli leur tâche, c’est cette foi vigoureuse qui leur a permis de prêcher l’accomplissement du devoir sans tomber dans la banalité de la vieille école ou dans les déclamations révolutionnaires des derniers temps. De là une vraie poésie parfaitement appropriée à notre XIXe siècle. L’Allemagne a senti qu’il y avait là un principe de vie, et le succès moral a été aussi grand que le succès littéraire ; heureux les écrivains qui, en attachant le lecteur à des fictions romanesques, fournissent aussi à leur patrie des consolations et des encouragemens !

Moralité et poésie, c’est là sans doute la loi éternelle de l’art ; il semble cependant qu’à de certaines époques il soit plus nécessaire que jamais de rappeler cette loi impérieuse. Dans les temps de culture raffinée, la crainte du lieu commun enfante la recherche du mal. On ne peint pas le vice pour le flétrir, on le peint avec complaisance, comme si on avait découvert une veine neuve et fertile. Les bas-fonds des grandes villes, les choses louches, ténébreuses, tout ce qu’un vrai poète évite, ce que le satirique signale seulement au passage et marque d’un trait brûlant devient la matière même de l’art dégénéré. Courtisanes et baladins sont les héros du jour, ils ont des poètes en titre pour célébrer leurs exploits. Il ne s’agit plus de charmer l’intelligence, encore moins d’élever l’âme vers l’idéal ; le roman et le théâtre semblent n’avoir d’autre ambition que de flatter les pires instincts de la nature. Qu’on ne s’y trompe pas cependant, malgré la fièvre de jouissances qui énerve la société française, malgré l’abaissement des caractères et la corruption des mœurs, nous sentons trop vivement notre mal pour ne pas en guérir un jour. Au moment où la France vient d’accomplir de grandes choses à l’extérieur, il en coûte de penser que sa vie intellectuelle puisse offrir