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de la perdition. » Que devient la vie religieuse au milieu de ces ténèbres ?

Prenons pour exemple le rite du baptême. La liturgie suédoise semble partir de la supposition qu’avant d’être baptisé, l’enfant demeure sous l’influence spéciale du mal. On ne doit pas s’étonner qu’une telle interprétation du sacrement ait fait naître et entretenu dans maintes localités les pratiques les plus superstitieuses, comme de ne pas laisser s’éteindre le feu dans la maison que l’enfant ne soit baptisé, ou, sitôt qu’il pousse des cris, de faire passer un charbon ardent entre sa chemise et son corps pour conjurer le diable, sous le pouvoir duquel il est censé se trouver. Selon la doctrine officielle aussi, le baptême place l’enfant sous la protection particulière de Dieu, qui dès-lors le régénère et sanctifie son cœur. On pourrait même croire qu’on suppose le nouveau-né spirituellement capable de prendre part à l’action du baptême, car, après avoir récité le symbole des apôtres, le pasteur se tourne vers lui et lui fait cette question : « Enfant, veux-tu être baptisé dans cette foi ? » Les parrains répondent en inclinant la tête. Le baptême conféré, le pasteur déclare que le nouveau-né est devenu membre de l’église, et qu’il a part désormais aux grâces dont elle est dépositaire. Tel est le formalisme, tel est l’empire excessif du symbole dans l’église de Suède. Elle a imaginé, en face des déclarations de l’Évangile, cette théorie bizarre, que Dieu introduit par le baptême dans l’âme du nouveau-né un germe spirituel, principe de la régénération, bien que subordonné à l’action de la liberté humaine, et qui n’en place pas moins l’enfant sous l’influence directe de l’esprit divin.

Nullité et stérilité de l’enseignement religieux, soit dans la chaire chrétienne et par le catéchisme, soit dans les chaires d’exposition théologique, voilà le résultat inévitable du formalisme que nous venons de décrire. Au lieu de s’appliquer à l’exposition de la morale et de solliciter pour la discipline qu’elle exige l’exercice actif de la conscience, l’église luthérienne suédoise cultive de préférence le champ de la dogmatique, la partie la plus abstraite de la théologie chrétienne. L’objet spécial de la prédication semble être aux yeux de ses ministres de frapper l’imagination des auditeurs en leur présentant l’absolue perfection ou la divinité du dogme dans une sphère inaccessible à l’action de la conscience humaine. Et comme à ce compte l’individu ne saurait être sollicité de conquérir une foi personnelle, comme il ne saurait guère s’en imposer l’obligation sans se voir menacé d’encourir l’anathème de l’église, et que le pasteur demeure plus que personne sous la tutelle de l’autorité ecclésiastique, on conçoit qu’il ne reste plus aux prédicateurs qu’à exciter la terreur, à frapper les esprits par la crainte du dernier jugement,