Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette maison si vous en avez le courage. Tout à l’heure je vous y enverrai mes témoins.

Saint-Clément salua la marquise, toisa son rival des pieds à la tête et sortit en ricanant. Les assistans baissaient les yeux et paraissaient au supplice. Le chevalier rompit enfin ce silence pénible : — Madame, dit-il d’une voix altérée, ce que j’ai entendu ne peut être qu’un impudent mensonge. Si ma vieille amitié vous était à charge, vous n’auriez pas choisi cet inconnu pour lui faire de telles confidences.

— Pensez-en ce qu’il vous plaira, répondit la marquise en se levant. Je ne suis pas en disposition de me laisser quereller ; je vous cède la place.

À ce nouveau coup, le pauvre chevalier chancela comme s’il eût reçu au cœur une arquebusade.

— Dieu bon ! s’écria-t-il en joignant les mains, mon amitié pour elle une tyrannie, un joug insupportable !… Mais alors qu’ai-je à faire ici ? Comment ai-je pu y demeurer si longtemps ? Excusez-moi, mes amis : on ne voit pas de sang-froid le rêve de toute sa vie s’évanouir en un moment. J’ai négligé famille et fortune pour m’attacher à cette maison comme un lierre, et je me trouve tout à coup seul au monde, abandonné, chassé, — car cela s’appelle ainsi. — Quinze ans de dévouement ne m’ont pas épargné ce mot cruel. Il faut partir maintenant, aller je ne sais où…

— Pas du tout, dit sir Oliver ; il faut attendre. Moi, je vous délivrerai de cet homme détestable.

— Ah ! ce n’est pas de lui que je me plains, reprit le chevalier. Que me font les injures d’un fat quand je suis au désespoir ? Qu’on m’insulte encore, et qu’on me laisse à tout ce que j’aime. Ce cœur ingrat qui m’abandonne, hélas ! vous ne pouvez pas me le rendre.

— Peut-être, répondit sir Oliver.

— Non, non, poursuivit le chevalier ; je n’essaierai point de m’accrocher aux branches. Lorsqu’une femme veut rompre ses liens, il n’y a plus qu’à s’éloigner. Celle-ci du moins n’aura pas sujet de me maudire ; je ne lui laisse pas au pied le boulet de la loi et de la religion. Un mot a suffi pour nous rendre libres tous deux. Allons, Giacomo, ta place n’est plus ici. Tu vas errer sur la terre comme un chien sans maître. Dis adieu pour toujours à ces murs, à ces vieux meubles…

En promenant ses regards autour de lui sur l’antique mobilier du salon, le malheureux Giacomo sentit son cœur se briser. Une teinte livide se répandit sur son visage ; il ferma les yeux et tomba évanoui dans les bras de sir Oliver. Pendant ce temps-là, le baron courait toute la ville à la recherche