Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de décombres, tracées sur les récifs escarpés de ce promontoire qu’on n’avait pu attaquer de face. La maison occupée parle général Levaillant, gouverneur de Sébastopol, n’était pas à l’abri de la bombe, comme l’attestaient les larges brèches de la toiture. Le général me conduisit dans un coin de son petit jardin où il avait placé son observatoire, et me prêta sa longue-vue. On voyait très distinctement les Russes, de l’autre côté de la rade, charger et pointer leurs canons sur nous ; mais les boulets passaient au-dessus de nos têtes.

Ces boulets faisaient quelques ravages par l’insouciance de nos soldats, qui s’y exposaient imprudemment et fort inutilement ; ils en avaient vu tant d’autres, qu’ils ne se détournaient pas pour ceux-là. Cette indifférence amenait encore de nouveaux blessés aux ambulances ; mais ce qui les remplissait surtout, c’étaient les épidémies. Les opérations chirurgicales, devenues moins nombreuses, faisaient place aux traitemens de la thérapeutique médicale. Les malades arrivaient en foule, et l’encombrement obligeait d’évacuer sur les hôpitaux tous ceux dont le mal persistait. Une ambulance se prête facilement à un agrandissement de cercle, selon les besoins ; il suffit d’avoir plus de tentes, de masures, de granges, etc., et cet agrandissement est nécessaire à certains jours. Cependant on doit se hâter, dès qu’on le peut, de disperser les malades en divers hôpitaux, par groupes de cinq ou six cents au plus. Si ce chiffre est franchi, s’il est doublé ou triplé, comme cela arrive souvent, on court les risques de l’infection miasmatique. Ce n’est pas sans danger, même pendant la paix, que l’on accumule sur un point donné un nombre considérable de malades. Dans les grands établissemens hospitaliers, comparés aux petits, la mortalité est proportionnellement plus grande, en dépit de toutes les précautions hygiéniques. Cette vérité n’est guère admise que par les médecins. On croit généralement qu’avec le système de centralisation, le service est mieux fait ; c’est violer les lois de l’hygiène, prolonger le séjour des malades, grossir le chiffre des réformes, des décès, développer le germe des maladies infectieuses. Afin de désemplir les ambulances de Crimée, on ouvrit, au mois de décembre 1855, de nouveaux hôpitaux à Constantinople. J’allai les visiter, après avoir continué par Eupatoria ma tournée d’inspection.

Eupatoria est une grande ville que les Russes auraient brûlée, s’ils en avaient eu le temps ; nous l’avons sauvée de la destruction. Les maisons n’ont pour la plupart qu’un étage ; elles sont très spacieuses, celles surtout qui bordent les grandes rues. La voie publique est défoncée et boueuse en hiver ; .mais elle est bordée par des trottoirs hauts de 50 centimètres, abrités par le prolongement des toitures. À ce moment, il ne restait dans la ville, occupée par les alliés, que la population pauvre. Les riches, s’étaient retirés ; mais le nombre des pauvres s’accroissait chaque jour par l’arrivée de malheureux