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membre inférieur a plus besoin de solidité que le bras. Des muscles très volumineux rendent moins accessibles à la main du chirurgien les esquilles du fémur que celles de l’humérus. La fracture comminative des deux os de la jambe est très souvent un cas d’amputation. Cependant, si le blessé peut être soustrait au danger des transports, s’il est traité dans un établissement bien approvisionné, on doit tenter la conservation. Quand le tibia ou le péroné est fracturé isolément, la résection ou même la simple extraction des esquilles suffit souvent pour amener la guérison. Les perforations du pied par les balles sont moins graves qu’on ne l’a cru pendant longtemps ; par l’extraction des esquilles, on évite presque toujours l’amputation. En juin 1848, M. Thayer, aujourd’hui sénateur, a reçu une blessure analogue ; l’extraction des esquilles et les réfrigérans longtemps continués ont amené une parfaite guérison.

L’ennemi le plus terrible qu’aient eu à combattre les médecins de l’armée d’Orient a été la pourriture d’hôpital. Ce fléau naît, comme le typhus, du méphitisme concentré et prolongé, si difficile à éviter dans les armées stationnaires étroitement cantonnées ; il survient spontanément, se propage par l’air et envahit les plaies. Tant que les plaies ne sont pas entièrement cicatrisées, il faut le redouter. Que de fois de pauvres blessés touchant au terme de leur guérison, se préparant à retourner dans leur famille, ont péri victimes de la pourriture d’hôpital ! On reconnaît cet affreux mal quand la blessure se sèche, devient douloureuse, prend une teinte ardoisée, se parsème de plaques noires. Une désorganisation gangreneuse l’envahit, attaquant de préférence le tissu cellulaire et y pratiquant de profondes excavations. Quelquefois, au lieu de la gangrène humide, la peau se couvre d’une escarre sèche ; d’autres fois, pendant que la cicatrice se fait d’un côté, la plaie s’agrandit de l’autre par ulcération : c’est ce qu’on nomme la pourriture d’hôpital ulcéreuse. Dès le début, un cercle rouge violacé, d’un rayon de 5 à 8 centimètres, se produit sur la circonférence de la plaie. Après trois ou quatre jours, ce cercle tombe en gangrène ; un autre cercle lui succède pour se gangrener à son tour et causer de vastes déperditions de substance accompagnées parfois de redoutables hémorrhagies. Cette sorte de typhus local ne tarde pas à infester tout l’organisme, et la mort survient bientôt, si l’art a été impuissant ou n’a pu intervenir en temps opportun.

Le premier remède, on le conçoit, est l’isolement dans des lieux sains, non contaminés. Cet isolement est commandé à la fois par l’intérêt du malheureux atteint du fléau et par celui des malades ses voisins, exposés à la contagion. La tente est ici une excellente ressource, surtout si chacun de ceux qu’a attaqués le mal peut avoir la sienne. L’air y est facilement renouvelé ; il suffit d’en maintenir le grand tablier circulaire soulevé à quelques décimètres de terre