Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/607

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

immédiatement au-dessus des malléoles, c’est-à-dire des chevilles. À ce point, la circonférence de la jambe est moindre que plus haut, et la surface traumatique étant plus petite, on a moins d’inflammation, d’accidens ultérieurs à redouter ; aussi les cas de guérison sont-ils nombreux. Ce précepte rentre d’ailleurs dans le principe général, qu’il faut toujours amputer le plus loin possible du tronc. La mission du chirurgien est avant tout de sauver la vie du blessé ; sa conscience lui commande donc de préférer l’opération la moins redoutable. D’autres raisons militent en faveur de l’amputation sus-malléolaire. L’importante articulation du genou est conservée, et à l’aide d’un membre artificiel il est facile de dissimuler la mutilation. Cette considération n’est pas indifférente pour un jeune homme dont la carrière est à faire, ni même pour un officier supérieur commandant à cheval. Un lieutenant-colonel sur lequel j’ai pratiqué cette opération a pu continuer à servir, il est même aujourd’hui colonel. Il est vrai que la mécanique à fournir au soldat amputé au-dessus des malléoles coûte deux ou trois fois plus cher que le pilon classique ; mais l’état ne sera jamais obéré pour si peu. Ainsi que je l’ai démontré en 1839, on peut enlever le pied en entier sans recourir à l’amputation de la jambe ; on prend un lambeau de parties molles pour recouvrir la plaie sur le cou-de-pied, ou mieux encore au talon : dans ce dernier cas, l’amputé marche très bien, et sans mécanique, en appuyant le poids du corps sur son pilon posant sur une bottine à talon élevé.

J’ai rencontré quelques amputations pratiquées au milieu du mollet, et j’ai dû exprimer un blâme sévère. Le soldat ne doit jamais servir à des expérimentations, et le conseil de santé des armées a bien raison de maintenir la sage et traditionnelle prescription qui défend aux chirurgiens militaires d’employer des modes de traitement et d’opération que n’a pas sanctionnés l’expérience. L’amputation au milieu du mollet a de graves inconvéniens. Le volume de la jambe, plus considérable à cet endroit, donne une plaie plus large, et accroît ainsi les chances de mortalité. D’autre part, le moignon, trop long, se prête moins bien à l’application de la jambe de bois.

Une vérité que les faits nombreux observés en Crimée permettent d’affirmer aujourd’hui, c’est que toutes les fois qu’il n’est pas possible d’amputer la jambe, la désarticulation du genou doit être préférée à l’amputation de la cuisse. Celle-ci a moins souvent réussi que celle-là. Toutefois la désarticulation du genou doit être immédiate ; c’est encore là un point acquis désormais à la science, qu’on en compromet le succès en la retardant. En effet le volume des os, même dans l’état de santé, n’est pas en harmonie parfaite avec la quantité des parties molles, et la disproportion devient plus grande quand le malade a perdu son embonpoint par suite de souffrances