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dorsale, qu’elle a écrasée dans toute sa longueur. La mort a été instantanée. D’autres fois, le choc étant moins violent, la colonne vertébrale a pu résister ; la peau, à cause de son élasticité, n’a pas été entamée ; des vaisseaux sanguins sous-cutanés ont seuls été déchirés. Dans ce cas, le sang s’accumule près du sacrum, au point le plus déclive. On a ponctionné la poche ainsi formée par la méthode sous-cutanée de M. J. Guérin, pour éviter les dangers de l’introduction de l’air dans les cavités closes. Il s’en est échappé un sang noir, altéré. La guérison s’est heureusement faite.

Autrefois, quand on trouvait sur le champ de bataille un cadavre ne présentant à l’extérieur aucune trace de blessure, on attribuait la mort au vent du boulet. Cette erreur n’a plus cours. D’une part, on voit un boulet enlever le sac des épaules d’un soldat, son képi, sa pipe même, sans laisser de marque de son passage. D’autre part, on trouve souvent sous la peau les viscères réduits en bouillie et les os broyés. Le vent du boulet ne saurait faire de tels désordres ; c’est le boulet lui-même qui les produit, surtout dans ses derniers ricochets vers la fin de sa course. L’élasticité de la peau explique comment, malgré la rencontre du boulet et du corps, elle a pu rester intacte.

Le général Bosquet avait reçu sur la poitrine en arrière, immédiatement au-dessous de l’omoplate, un éclat d’obus. La peau ecchymosée n’avait pas été entamée ; cependant trois côtes étaient fracturées par la face interne, à la manière d’un cerceau redressé avec exagération ; il en était résulté une forte dépression très visible, et surtout fort appréciable au toucher. Cette fracture, compliquée probablement d’une déchirure au poumon, avait amené dans la poitrine un épanchement de sang qui, refoulant le tissu pulmonaire contre la colonne vertébrale, s’opposait à l’introduction de l’air dans les cellules bronchiques. Le général a été très habilement traité par M. Secourgeon, médecin en chef du 3e corps.

La partie de la science qui regarde les amputations est des plus importantes. Où faut-il les pratiquer ? quand peut-on les éviter ? Telles sont les deux questions sur lesquelles la campagne de Crimée a répandu de précieux éclaircissemens.

Pendant les guerres de l’empire, quel que fût le point vulnéré du bas de la jambe, fût-ce le talon, on pratiquait l’amputation à la jarretière, à quatre ou cinq travers de doigt au-dessous du genou. Le moignon se dissimule alors dans l’ampleur du pantalon, et l’amputé se sert d’une jambe de bois, sorte de pilon très simple, non sujet à dérangement. C’est là un avantage auquel beaucoup de chirurgiens ne veulent pas renoncer. Cependant depuis une vingtaine d’années des praticiens distingués ont établi en précepte que l’amputation doit se faire le plus bas possible, et, toutes les fois qu’on le peut,