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l’air. Par le plus beau soleil, les portes et les fenêtres étaient hermétiquement fermées, l’atmosphère était lourde et méphitique ; aussi le typhus a-t-il fait de nombreux ravages. Mon secrétaire, M. Benjamin Crombez, en a été atteint pour être demeuré seulement une heure dans cette ambulance. Il est singulier que le souvenir des désastres passés ne soit pas plus instructif et que les leçons les plus terribles soient perdues. En 1829, l’armée du Danube, attaquée par le typhus et la peste, perdit 60,000 hommes. Le nombre des soldats qui repassèrent le Pruth ne dépassa pas 10 ou 15,000 combattans[1]. Comme les Anglais et les Sardes, les Russes étaient soignés par des femmes dévouées. Sur quelques lits, on voyait des soldats morts, le visage découvert ; au chevet brûlaient de petites bougies ; c’est sans doute quelque pratique religieuse : les malades voisins n’en paraissaient nullement émus.

Deux médecins russes, faits prisonniers de guerre avec les infirmiers de leur ambulance à l’attaque des ouvrages blancs sous Sébastopol, avaient été amenés au grand quartier-général. L’un, blessé à la tête, fut soigné à l’ambulance ; l’autre, très bien portant et fort habile chirurgien, prit la direction d’un service spécial de blessés russes. Comme tous ses confrères, il pratiquait l’amputation par la méthode circulaire, en incisant les tégumens en arrière pour faciliter l’écoulement du pus, et en maintenant les lèvres de cette plaie par une mèche de charpie cératée, à l’imitation de M. Sédillot, de Strasbourg, pratique qui a donné d’excellens résultats. Les médecins russes parlaient français et vivaient avec nos médecins. Plus tard ils furent échangés contre des prisonniers de notre armée. Leurs infirmiers, qui les aidaient, étaient si habiles dans l’opération des ligatures artérielles et des pansemens, qu’il n’est pas survenu une seule hémorrhagie consécutive. Les Russes emploient aussi des soldats panseurs qui remplissent leurs fonctions de la façon la plus satisfaisante. Il faut remarquer encore que les soldats russes portent dans leur sac une compresse et une bande roulée, précieuse ressource qui permet l’application immédiate et bien efficace d’un premier appareil sur le champ de bataille même, où manquent souvent les objets de pansement.

II

La plupart des opérations chirurgicales se faisaient aux ambulances ; elles comprenaient principalement les extractions de balles, les amputations, les résections.

  1. Campagnes des Russes dans la Turquie d’Europe, en 1828 et 1829, par le colonel baron de Moltke.