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Chaque officier avait une fosse particulière ; les soldats reposaient ensemble dans de grandes fosses communes : compagnons d’armes et de périls, la mort même ne les séparait pas. Après la chute de Sébastopol, cette ambulance devint un lieu de pèlerinage où chacun cherchait la tombe d’un ami. C’est bien là qu’on pourrait élever une chapelle en l’honneur de tant d’hommes courageux frappés obscurément dans les pénibles travaux du siège.

Deux grottes d’embuscade enlevées aux Russes dans le ravin du Carénage et dans celui de Karabelnaïa servaient d’ambulances aux tranchées de droite. Elles étaient à l’abri des boulets tirés de plein fouet ; mais plus d’une bombe, roulant dans les ravins, vint éclater et faire des victimes à l’entrée de ces tristes retraites qu’habitait la souffrance. Un jour douteux pénétrait dans ces anfractuosités, et rendait très difficiles les opérations chirurgicales. La nuit, pour ne pas attirer l’attention de l’ennemi, on se contentait d’une misérable petite lampe suspendue à la voûte. Au milieu du bruit sourd et continu de la canonnade dominaient par intervalles les cris des oiseaux de proie, inquiétés dans leurs paisibles demeures, se précipitant de leurs rochers, emportant dans les airs quelques lambeaux de chair humaine. Après la prise de Sébastopol, on allait voir pieusement ces grottes peuplées de souvenirs lugubres ; on se montrait la litière de paille encore sanglante où s’agenouillait le chirurgien pour extraire une balle ou arrêter une hémorrhagie. Qui dira jamais tout ce qui s’est passé là de triste et d’émouvant ? Dans ces ambulances de tranchée, les plaies béantes, les membres brisés recevaient le premier pansement ; le sang qui s’échappait en abondance était contenu par des moyens hâtifs ; beaucoup n’entraient que pour mourir, après de navrantes agonies, avec un courage héroïque ; les autres étaient transportés dans les ambulances divisionnaires.

Les quatorze divisions de l’armée de Crimée étaient pourvues chacune d’une ambulance. On a quelquefois simplifié le service en donnant à deux divisions une seule ambulance qui pouvait toujours être dédoublée. Les divisions étaient réparties en trois corps d’armée. À chaque corps était attaché un médecin principal. Chaque ambulance comptait huit docteurs en médecine, deux majors et six aides-majors. Le service pharmaceutique était confié à un ou deux pharmaciens militaires reçus dans une faculté. Le nombre des infirmiers s’élevait en proportion des malades reçus. Ce personnel se divisait au besoin. Quand une fraction de la division opérait un mouvement, elle était suivie par une fraction de l’ambulance, dirigée par le second médecin-major et deux aides. Le matériel, porté sur des prolonges ou à dos de mulet, était plus ou moins considérable selon les besoins présumés et la facilité des transports. On se trouvait souvent