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« Notre bill au sujet des esclaves ne fut qu’un digeste de toutes les lois qui les concernaient. Il n’y était nullement question d’un plan d’émancipation générale et future. On pensa qu’il valait mieux tenir ce plan en réserve, et ne tenter de le produire que par voie d’amendement et quand le bill serait présenté. On convint cependant des principes de l’amendement : donner la liberté à tous ceux qui naîtraient après un jour déterminé, puis les déporter à un âge convenable ; mais on trouva que l’opinion publique n’était pas encore en état de supporter une semblable proposition ; elle ne l’est pas davantage aujourd’hui. Le jour pourtant n’est pas éloigné où il faudra qu’elle la supporte et qu’elle l’adopte, sans quoi de plus grands maux s’ensuivront. Rien n’est plus clairement écrit dans le livre du destin : il faut que ces hommes soient libres, et il n’est pas moins certain que les deux races également libres ne peuvent vivre sous le même gouvernement. La nature, l’habitude, l’opinion ont établi entre elles des lignes indélébiles de démarcation. Il est encore en notre pouvoir de régler la marche de l’émancipation et de la déportation, d’accomplir la réforme paisiblement, et assez progressivement pour que le mal disparaisse d’une façon presque insensible, et que la place des nègres soit prise pari passu par des travailleurs blancs et libres. Si au contraire on abandonne la solution à la force des choses, la nature humaine doit frémir à la perspective qui s’ouvre devant nous. On chercherait en vain des exemples dans la déportation et l’extermination des Maures par les Espagnols. Ce précédent resterait bien au-dessous de notre cas. »


Au moment où Jefferson écrivait ces paroles à l’adresse de la postérité, comment parlait-il à ses contemporains ? C’était en 1821. Les États-Unis sortaient à peine d’une crise terrible. Un nouvel état, le Missouri, demandait à entrer dans l’Union. Pour y être admis, serait-il ou non obligé de renoncer à l’esclavage ? Telle était la question qui avait partagé l’Amérique en deux camps ennemis.


« Chaque état, écrivait alors Jefferson, a seul le droit de régler la condition des différentes classes d’hommes qu’il renferme. Aucun article de la constitution ne leur a enlevé ce droit pour le donner au gouvernement général… La vraie question pour les états affligés de cette malheureuse population, c’est de savoir si l’on fera présent à nos esclaves de la liberté et d’un poignard, car si le congrès a le pouvoir de régler la condition des habitans des divers états au sein de ces états, il pourra, en vertu du même pouvoir, décréter la liberté pour tous. Dans la situation actuelle, nous tenons le loup par les oreilles, et nous ne pouvons sûrement ni le tenir, ni le lâcher. Dans un des plateaux de la balance, la justice ; dans l’autre, la sûreté de nos personnes… Au fond, la question du Missouri n’est pas une question morale, c’est une question de prépondérance,… c’est un coup de parti. Les chefs du fédéralisme n’ont pu conquérir le pouvoir en ralliant des partisans au principe monarchique, principe qui pouvait amener des divisions personnelles, non des divisions locales. Ils virent de bord aujourd’hui ; ils jettent à la baleine un nouveau harpon. Ils profitent des sentimens vertueux du peuple pour amener une division de partis qui coïncide avec des divisions géographiques. »